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Connaissance de la pensée ibadite
L'Entretien du lundi — Moncef Gouja
Publié dans La Presse de Tunisie le 24 - 02 - 2014

Auteur d'une histoire religieuse et politique de l'ibadisme (tarikh el-ibadhiyya ed-dîni wes-siyessi), l'interviewé, natif de Djerba, est lui-même issu de la communauté ibadite. Son regard est cependant celui de l'histoire de la théologie, et son souhait : que le retour au débat sur les anciennes questions de fond brise la rigidité des antagonismes entre les doctrines musulmanes...
Vous venez de publier, cette fois en langue arabe, un texte paru il y a plus de dix ans en langue française sous le titre «Aux origines de la pensée arabe». Est-ce qu'il y a une opportunité à sa republication au vu du nouveau contexte politique?
Je pense d'abord que l'opportunité est permanente. Parce que les grandes problématiques théologiques qui ont été posées dès les premiers siècles de l'islam, notamment par les Kharijites, et leurs descendants ibadites par la suite, sont des problématiques toujours actuelles. Le monde arabo-musulman ne les a pas résolues... Par exemple, le problème du califat, ou celui de la division des musulmans en diverses doctrines, ces questions étaient considérées comme essentiellement politiques. Or les problèmes politiques s'estompent avec le temps. Mais nous nous apercevons que ces problématiques posées dès les premières décennies de l'islam ont maintenu les mêmes clivages. Ce qui veut dire que le débat est théologique et qu'il continue... Les musulmans ne sont pas arrivés à résoudre ces problématiques, c'est-à-dire à trouver des solutions communes...
C'est donc l'intérêt de l'ouvrage, qui a été publié en français au départ, de réactualiser ces questions. Mais ce que j'ai voulu surtout réactualiser, c'est l'approche théologique des Ibadites, qui a été occultée pendant des siècles, alors que c'est une approche qui peut participer à la recherche d'une solution théologique au sein du monde musulman... En réalité, les clivages sont tellement profonds, les structures qui permettraient le débat n'existent plus, elles existaient avant dans des grandes villes comme Kairouan ou Bassora...
Mais il y a aujourd'hui un contexte de liberté d'expression qui peut être propice à la relance du débat...
Durant les quatorze siècles, il y a eu toujours une forme de liberté d'expression sur le plan théologique. Mais ce sont les doctrines (al madhahib) qui s'excluent mutuellement : les sunnites considèrent que les chiites et les kharijites sont des impies, et même chose pour les chiites et les kharijites. Chaque camp estime que les autres sont impies. C'est ce qui explique d'ailleurs la permanence des conflits entre courants religieux... La réactivation du débat peut permettre d'éviter ces conflits... Mais il faudrait qu'il s'inscrive dans une structure unifiée où tout le monde aurait sa place : cette structure n'existe pas. Même l'Organisation du conseil islamique n'offre pas de cadre adéquat pour relancer ce vieux débat et essayer d'opérer un rapprochement. Ce qui est curieux, c'est que les musulmans, aussi bien sunnites que chiites, ont tenté à un certain moment un dialogue avec le monde catholique, mais ils n'ont pas engagé un débat interne. Le seul débat qui existe entre sunnites, chiites et ibadites est un débat de sourds. Chacun réitère ses positions et reproduit ce qui a été instauré depuis des siècles... Et au niveau de ces courants religieux, il n'y a pas de véritable rénovation. D'où l'opportunité de relancer le débat sur le plan historique, celui de l'histoire de la pensée... Ce qu'on considère comme définitivement réglé dans les trois grands courants ne l'est pas en réalité. La preuve, c'est ce qui se passe à l'intérieur du monde sunnite : il est déchiré en ce moment entre courants salafistes et autres... Le salafisme reprend d'ailleurs quelques thèses du kharijisme...
A ce propos, quand on dit que l'ibadisme est une forme de kharijisme, le risque est de l'assimiler à un extrémisme religieux...
Le kharijisme, c'était la troisième voie entre les partisans de Ali et les partisans de Mouawiya. Dès le départ, la question des divergences théologiques est apparue. La position des kharijites lors de la bataille de siffin était : «lé hokmé illa lil'lah». Ils étaient contre l'arbitrage qui se mettait en place entre Ali et Mouawiya. Selon eux, pour régler le litige, il suffisait de s'en remettre au texte coranique et de l'appliquer... Les sunnites étaient les partisans de Othman et de Mouawiya, les chiites étaient les partisans de Ali et les kharijites étaient contre les deux. Leurs divergences se sont cristallisées en courants théologiques, et l'ibadisme est la continuation du kharijisme, mais avec une évolution doctrinale très nette, puisque les ibadites se sont désolidarisés des excès de certains courants du kharijisme, dont les azraqites. Les Ibadites s'appellent ainsi parce que leur chef, qui a pris ses distances par rapport aux kharijites, s'appelait Abdallah ibn Ibadh : c'était au début de la deuxième partie du premier siècle de l'hégire... Ibn Ibadh était l'auteur d'une lettre au calife omeyyade Abdelmalik Ibn Marwan, où il traitait de grandes questions comme la légitimité du califat...
Pour conclure, les Ibadites modernes récusent la dénomination de kharijites, parce qu'elle est devenue synonyme d'anathème. Etre «kharijite», cela veut dire être violent et être hérétique...
La notion de «premier arbitrage» (el mouhakkima el'oula) est une notion apparemment fondatrice dans la doctrine ibadite... Est-ce qu'elle a donné lieu à des développements au cours des siècles?
Dans les textes, soit des historiens soit des théologiens ibadites, le fait de reconnaître cette «mouhakkima el oula» a la même valeur qu'un article de foi. Ne pas la reconnaître, c'est se mettre en dehors de la doctrine. Il s'agit d'une obligation religieuse : reconnaître l'autorité de l'arbitrage divin dans le conflit qui a opposé Ali à Mouawiya autour du califat.
Il y a eu une réflexion autour de cette notion. D'abord l'émergence de la problématique éthico-religieuse : qui est légitime et qui n'est pas légitime? Les kharijites reconnaissent la légitimité de Othman mais juste pour les six premières années de son élection par le Conseil de la choura et ils reconnaissent la légitimité de Ali. Seulement, ils considèrent que, aussi bien Ali que Othman ont dévié de la voie et que, par conséquent, ils méritaient d'être tués... Après «l'istitaba», qui est obligatoire (demande de repentance, ndlr). Ils se reconnaissent d'ailleurs parmi ceux qui ont assassiné Othman, et dont l'auteur principal n'est autre que le fils du premier calife, Mohamed Ibn Abi Bakr. Ils se reconnaissent aussi parmi ceux qui ont assassiné Ali... Ali a été assassiné par un kharijite, Abderrahman ibn Mouljim... Depuis, toute une théorie du califat a été élaborée qui considère que le calife peut ne pas être un descendant de la tribu de Qoraïch, contrairement à ce qu'affirmaient les sunnites et contrairement aussi aux chiites, pour qui le calife doit être issu de la famille du Prophète. Pour eux, n'importe quel musulman peut être désigné calife, à partir du moment où il répond à certains critères. Ils ont essayé d'appliquer ce principe au long de l'histoire, pas toujours avec succès évidemment... Au niveau des textes, dans la lettre d'Ibn Ibadh, même un esclave noir («abd habachi») peut devenir calife... Ils ont élaboré une vision du pouvoir politique qui était tout à fait différente et qui a poussé certains chercheurs à estimer que ce courant était «démocratique»... En fait, la question de la démocratie ne se posait pas : c'est la question de la légitimité qui se posait.
Le deuxième point qui a été élaboré dans cette théorie — qui ne prendra sa forme que trois siècles plus tard —, c'est que le calife lui-même doit être contrôlé par un conseil : conseil de «ahl il-halli wel aakli». Il n'a pas le droit de décider sans leur accord. Evidemment, quand ils ont eu le pouvoir, les kharijites n'ont pas respecté ce principe : ils ont fondé des dynasties comme les autres.
L'ibadisme a beau être une forme pacifique du kharijisme, il n'en reprend pas moins à son compte, comme vous l'avez d'ailleurs signalé, une attitude plus que controversée, celle du «takfir» (accusation de mécréance)... Comment voyez-vous l'avenir de cette tradition dans les décennies et les siècles à venir?
D'abord, le «takfir» n'est pas une spécialité ibadite. Toutes les doctrines musulmanes ont de ce point de vue la même attitude. Le takfir est une attitude qui est commune à toutes les religions. Seulement, elle est plus ou moins annoncée et plus ou moins appliquée. Pour exemple, les sunnites considèrent que tous ceux qui sont en dehors des différentes doctrines sunnites sont des impies. C'est dans les textes...
Au XXIe siècle, est-ce que cette position peut être maintenue?
Au risque de choquer certains lecteurs, je dirais que toutes les religions —judaïsme, christianisme...— ont la même attitude. Dans le christianisme, il y a une Eglise, donc un magistère qui se prononce. L'excommunication n'a pas été bannie de l'Eglise. L'excommunication, c'est l'équivalent du takfir. Dans le judaïsme lui-même, les différents courants s'excluent mutuellement par l'excommunication. Donc, le takfir existe dans toutes les religions, du moins les religions qui ont un livre.
Est-ce que cela veut dire que tant qu'il y aura des religions, il y aura du takfir?
Oui, je le crois... Tant qu'il y a des religions qui ont des textes. Aussi bien le Coran, la Torah que les Evangiles parlent d'excommunication. C'est une façon de délimiter les contours de la communauté religieuse dans l'histoire. Mais c'est plus ou moins appliqué. En Occident, on a résolu le problème : l'excommunication demeure mais elle n'a plus la moindre valeur civile. C'est la séparation du religieux et du politique qui résout le problème. Il n'y a plus de conséquences pratiques. On est donc là dans un débat de foi et non plus un débat politico-social. Mais comme, en islam, on n'a jamais traité du problème de la séparation du religieux et du politique, le takfir pose des problèmes réels. Néanmoins, je pense que c'est le propre même du religieux de délimiter le contour sociologique de la foi par le biais du takfir. Une religion qui arrête d'excommunier n'est plus une religion.
Il y a des ibadites en Orient... A Oman, ils sont majoritaires. Il y en a en Libye, en Algérie... Est-ce que ces communautés différentes songent à se rencontrer et à discuter?
Oui, il y a des rencontres. Mais il n'y a pas de structure commune qui organise ces rencontres. Le débat continue à travers les écrits. Le problème, c'est que toutes les doctrines musulmanes, les doctrines qu'elles développent, ce sont des doctrines apologétiques. On peut considérer que les tentatives de rénovation des doctrines se sont arrêtées à la fin du Moyen Âge. Même les tentatives de Mohamed Abdou, qui a d'ailleurs fait le tour du monde musulman, qui a discuté avec les Ibadites et qui a tenté de faire une synthèse des différentes théologies, n'ont pas permis de résoudre les grandes problématiques théologiques. Il s'agit d'une répétition de la conception mutazilite...
Mais est-ce que la communauté des ibadites à travers les différents pays a conscience de sa spécificité?
Oui, elle a conscience. Je sais que les échanges entre les différentes communautés ibadites du Mzab, de Djerba, de Nefoussa et d'Oman n'ont jamais cessé jusqu'à maintenant. Il y a des cercles d'échange théologique qui se poursuivent et des ouvrages récents ont été rédigés. Le problème qui se pose est que selon la vision ibadite le seul pouvoir légitime est celui du sultanat d'Oman, mais ce sultanat ne s'est malheureusement pas illustré par l'organisation de grands débats théologiques. En fait, je pense que le centre théologique de l'ibadisme, depuis le Moyen Âge d'ailleurs, n'est plus en Orient, il est au Maghreb. Et surtout chez les mozabites. C'est une communauté organisée... Il y a d'ailleurs beaucoup de familles djerbiennes qui portent le nom originel de «mzabi»...


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