Ezzaïm s'investissait volontiers dans une dimension hors du commun des politiciens et grands personnages à travers les âges. Le 14e anniversaire du décès de Habib Bourguiba, fondateur et premier président de la République tunisienne, n'est pas passé sans controverse. Certes, la majorité des Tunisiens saluent en Bourguiba le leader incontesté du mouvement national et le réformateur hors pair qui a bâti la Tunisie moderne. D'autres soumettent l'illustre homme au regard du bilan historique froid et méthodique. Mais il y a ceux qui s'y opposent mordicus, par parti pris, idéologie ou règlements de comptes. Et, dans tous les cas de figure, l'homme en impose, qu'on le vénère ou qu'on s'y oppose. Tel est le lot de cette poignée de grands hommes qui constituent un instant essentiel dans le devenir de leur nation. Il en est de Bourguiba comme d'Hannibal, Napoléon Bonaparte ou Charles de Gaulle. Leur réputation transcende les âges. Leur legs est toujours lourd. Leurs cendres pèsent. Habib Bourguiba est même revenu de loin dans l'imaginaire populaire. Le bilan tant des vingt-trois ans du régime de Ben Ali que celui des trois années après la révolution du 14 janvier 2011 y est pour quelque chose. Les observateurs avertis en attestent : à l'aune de la comparaison, personne ne tient la route. La démocratisation de la vie politique aidant, la fonction présidentielle est de plus en plus soumise au regard non complaisant. C'est-à-dire englobant aussi et surtout la critique et l'examen par le doute. Depuis son avènement en 1957, quatre présidents se sont succédé jusqu'ici à la tête de la République tunisienne. Habib Bourguiba sort du lot, incontestablement. Il plane même haut, très très haut. Cela n'exclut guère les misères et les atteintes à la démocratie qui ont imprégné son règne. Le débat à ce niveau n'est pas épuisé. Mais l'homme s'investissait volontiers dans une dimension hors du commun des politiciens et grands personnages à travers les âges. Dans la salle réservée aux réunions du Conseil des ministres au palais de Carthage, Bourguiba avait suspendu les effigies des héros de la Tunisie au fil des millénaires : Hannibal, Jugurtha, Saint Augustin et Ibn Khaldoun. L'ancien ministre Tahar Belkhoja a affirmé qu' «un cinquième piédestal attendait son propre buste». De même, Bourguiba avait dit au président du Conseil italien, Amintore Fanfani, venu lui rendre visite et remarquant sur son bureau un livre sur Jugurtha : «Oui, je suis un Jugurtha qui a réussi. Il a fallu des millénaires». Trois autres considérations ont favorisé ce retour en force de la figure de Bourguiba dans l'imaginaire collectif. D'abord, l'écrasante majorité des hommes politiques tunisiens s'avèrent archaïques, limités et dépourvus de tout charisme. La liberté a mis au grand jour leurs limites, voire leur obsession du pouvoir et leur culte du chef le plus démocratiquement partagés. Cela vaut tant pour la politique interne que pour la politique étrangère. Du coup, la haute figure charismatique du grand Bourguiba, politicien de haute voltige, ressurgit au grand jour. D'autre part, un grand nombre de partis se ressourcent volontiers dans l'héritage bourguibien. Ils érigent même son legs en idéologie. Du coup, le bourguibisme opère une espèce de retour en grâce. Il y a enfin l'orchestre de l'ordre noir s'échinant à saper la République, ses valeurs et ses institutions au profit du nouveau moyen âge. Un groupuscule de partis fondamentalistes, fanatiques, salafistes et nationalistes qui ont pour dénominateur commun la diabolisation outrancière de Bourguiba et de son héritage. Ajoutons à cela l'environnement international marqué, un peu partout, par l'irruption d'hommes faibles et timorés. Là aussi, les dirigeants internationaux affichent un profil à la mesure de leur véritable stature terne et effacée. A cette échelle également Bourguiba ressort grandi. C'est dire que l'homme fait partie des rares élus de l'histoire, de la Grande histoire. Quelle que soit l'attitude envers Bourguiba, l'homme n'en finit pas d'être incontournable. Bien évidemment, l'examen critique et exhaustif de son exercice, des décennies durant, est nécessaire. Par-delà les partis pris aveugles et les prismes déformants de l'idéologie et du ressentiment.