Représentants de deux formes musicales très différentes du reggae sur leur île, les Réunionnais Ti Rat et Kaf Malbar viennent tous deux de sortir leurs nouveaux albums respectifs qui, au-delà des différences, cherchent d'abord à répondre à des préoccupations identitaires. Au milieu des champs de canne, à quelques mètres de la mer, Ti Rat fait son reggae comme il plante son manioc : avec l'envie profonde de conserver autant que possible son indépendance. "Mes ancêtres se sont faits exploiter. Pas moi" , lâche le chanteur de Sainte-Anne qui a rapidement compris qu'il valait mieux prendre les rênes de sa carrière pour éviter les mauvaises surprises. "Peut-être que j'ai une trop grande gueule ", admet-il. Quelles qu'en soient les conséquences, il a choisi de rester fidèle à ses convictions, en tant que "disciple du rastafarisme". Dans la musique, comme dans la vie. Le message Depuis seize ans, avec son groupe Rouge Reggae, il martèle le message sur lequel est fondée toute sa démarche : ne pas se laisser manipuler, afficher son identité. Petit à petit, son discours s'est fait entendre, les salles de concerts de l'île lui ont ouvert leurs portes, dans quelques semaines, il prendra d'ailleurs part pour la troisième fois au festival Sakifo, l'événement musical majeur à La Réunion. Son territoire s'est agrandi auprès des publics des îles voisines de Mayotte en 2008, et de Madagascar l'an dernier. A plusieurs reprises, il est même venu en métropole pour des mini-tournées aux retombées encourageantes. "C'est sûr qu'on a une carte à jouer dans l'Hexagone", reconnaît volontiers le chanteur, tout en regrettant que les aides institutionnelles pour l'exportation de la musique réunionnaise bénéficient invariablement à la même poignée d'artistes. Black cause, son quatrième album, a été enregistré avec le matériel laissé chez lui par Manjul, jeune musicien et ingénieur du son parisien que la "main invisible" de Jah avait envoyé sur l'île et placé sur le chemin de Ti Rat. Entre les deux hommes animés par les mêmes valeurs et la même spiritualité, l'entente était si naturelle qu'elle s'est prolongée après le départ de Manjul pour le Mali. Dans son studio de Bamako, c'est lui qui a mixé la matière brute des nouvelles chansons, envoyées depuis La Réunion par son complice, et leur a donné la saveur du reggae roots, dans la continuité du style popularisé par Bob Marley. "Une musique pour vaincre les chaînes de l'oppression", résume Ti Rat qui convient, dans sa jeunesse, s'être raccroché aux propos de la star jamaïcaine pour ne pas glisser sur la pente où l'avait entraîné de mauvaises fréquentations. Version dancehall pour Kaf Malbar Pour Kaf Malbar, de son vrai nom David Damartin, il est aussi question de révélation salvatrice, mais elle survient derrière les murs du centre pénitencier du Port où le jeune homme, qui va à l'époque sur ses dix-huit ans, purge sa peine. Dans ce conteste très particulier, il se découvre en 1995 une attirance insoupçonnée pour le reggae dancehall auquel il est initié par un intervenant extérieur. Les conseils portent leurs fruits, les premiers textes prennent forme. "Ecrire, ce n'était pas un plaisir pour moi, mais j'avais des choses à raconter", précise-t-il, alors que vient de paraître son troisième album Le Yin et le yang dont chaque morceau est précédé par une séquence explicative pour être parfaitement compris. L'enfant du Chaudron, ce quartier de Saint-Denis souvent montré du doigt, est aujourd'hui devenu l'un des artistes qui rencontre le plus de succès sur l'île. La montée en puissance du phénomène Kaf Malbar, qui affirme par son nom ses origines africaines (cafres) et indiennes (malbars), démarre lorsqu'un DJ de l'île s'entiche d'un des titres de son premier album, sorti en 2001 dans une relative discrétion. Les radios, tout à coup, se montrent enthousiastes. Profitant de cette éclaircie imprévue, David enchaîne les apparitions sur les compilations afin d'être visible. La méthode fonctionne. "J'étais omniprésent sur les ondes, et ça m'a aidé à préparer le deuxième album, Pour la Zéness", analyse-t-il. Sa popularité se confirme à l'échelle locale, et les concerts en métropole se font de plus en plus fréquents. Un choix à faire Face à une si belle percée, il reste modeste : «Je pense que Le Plus Haut fait une grande partie du boulot que je produis en ce moment. On dirait même que c'est trop facile, qu'il déroule le tapis rouge pour moi. Parce qu'il y a plein d'artistes ici qui sont aussi bons." Longtemps, il n'a pas voulu quitter son emploi au service des sports de la ville de Saint-Denis pour se consacrer pleinement à la musique. "J'ai de la chance : même à 50 % ça fonctionne !", sourit-il. Désormais, la nécessité de faire un choix apparaît inévitable s'il désire franchir une étape supplémentaire. Le dilemme n'est pas simple à résoudre, mais Kaf Malbar est confiant, quelle que soit la décision qu'il prendra. Pourquoi sa bonne étoile l'abandonnerait-elle ?