« Le 6 juillet 2004, monsieur T. a poignardé sa femme de cinq coups de couteau. Il a ensuite quitté le domicile conjugal et s'est réfugié dans le jardin des voisins. C'est là qu'il a été découvert par la police. Quand, lors de son interrogatoire, on a demandé à Monsieur T. pourquoi il avait agi de la sorte, il a été incapable de répondre. Il ne semblait pas comprendre les faits qui lui étaient reprochés et ne se souvenait pas d'avoir tenté d'assassiner sa femme. » Cet extrait n'est pas celui d'un roman policier. Et Monsieur T. n'est autre qu'un homme atteint de la maladie d'Alzheimer(*). On a tous la crainte de se retrouver, un jour, confronté à cette maladie. Car, « on n'est pas là pour disparaître ». Nombre d'écrivains préfèrent écrire des romans à l'eau de rose que travailler sur la maladie de A., ou sur toute autre dégénérescence du corps et de l'esprit. Olivia Rosenthal, romancière et dramaturge française, dit qu'elle n'était pas exempte de ces craintes et avoue que la perspective d'écrire sur ce qui adviendrait d'elle si elle était atteinte de cette maladie, ou si la personne qui partage sa vie en était atteinte, est loin de la réjouir. « Car non seulement il est désagréable de se plonger, même en fiction, dans un avenir sombre et sans espoir, mais on peut, en plus, craindre de déclencher par le seul pouvoir de son imagination ce qu'on souhaiterait à tout prix éviter », ajoute-t-elle. Si ce livre n'est pas agréable à écrire, il n'est pas non plus très agréable à lire. Mais nous vous le conseillons, si vous avez le désir ou l'envie de comprendre cette maladie. Ce qui est sûr, c'est qu'après avoir lu On n'est pas là pour disparaître,, vous n'oserez plus plaisanter avec ce mot : « Alzheimer ». Vous ne prétexterez plus cette maladie lorsque vous aurez oublié vos clés en sortant, ou la liste de vos courses, une fois arrivé au supermarché. Car cette maladie en est une, et elle est beaucoup plus grave que ça. Alzheimer provoque des troubles de la mémoire, de la pensée et du comportement. Au stade précoce de la maladie, les symptômes de démence peuvent être légers, mais s'aggravent à mesure que le cerveau se détériore davantage... Selon Rosenthal, seuls les humains peuvent être atteints de la maladie de A. Ni les souris, ni les rats , ni les cochons, ni les singes, ni aucun autre mammifère n'a jamais contracté cette maladie. Pourtant, une fois perdus le langage, la mémoire, la capacité d'abstraction et d'argumentation, le malade de A. se comporte exactement comme un animal pris au piège. On aimerait bien que Monsieur T. soit un dangereux criminel qui simule, pour fuir, échapper ou nier. « Mais plus on l'observe, assis sur un lit d'hôpital psychiatrique, plus on se surprend à le plaindre. A discerner dans son regard une inquiétude vague, informe, qui ne se fixe sur rien en particulier. Une inquiétude absolue. L'inquiétude d'un homme qui craint d'avoir commis une erreur irréparable sans en avoir le souvenir... » Ce livre, éprouvant pour son auteure, est d'une inventivité langagière ! Le texte est organisé comme une partition, une sorte de poème. C'est une méditation exemplaire sur la maladie en question. Pour le lecteur, c'est un exercice d'empathie, mais — nous soulignons — qui n'a rien d'anodin. « Un très beau livre », écrit une journaliste de la Quinzaine littéraire, « mais il serait inamical de l'offrir en cadeau à une personne fragile ! » (*) Alois Alzheimer (1864-1915), médecin, psychiatre, neurologue allemand connu pour la description de la maladie qui porte son nom.