Par Brahim OUESLATI Démarrage, sans fanfare, de l'opération des inscriptions sur les listes électorales, opération rendue encore plus difficile par cette canicule qui sévit en plein mois de Ramadan. La campagne de sensibilisation n'a pas, jusque-là, eu l'impact escompté et le slogan choisi n'est pas suffisamment accrocheur pour mobiliser les indécis. Il a, plutôt, l'air d'être éculé: «Si tu aimes la Tunisie, inscris-toi». Jouer sur la fibre du patriotisme est devenu un thème trop galvaudé, mis à toutes les sauces et a, de surcroît, perdu beaucoup de son vrai sens. Rappelons-nous ces images qui ont déclenché une polémique, de nos constituants qui se jetaient, sous les lambris du palais de Bardo, l'anathème, avec des doigts accusateurs, en chantant: «Mourons, mourons pour que vive la Patrie ! ». Le patriotisme ne se mesure pas à l'aune d'une simple inscription dans un registre et l'attachement à son pays ne se mesure pas à l'aune des convictions politiques. Est-ce à dire que celui qui ne se faisait pas inscrire ne porterait pas la Tunisie dans son cœur? Et pourtant, ils étaient plusieurs, et ils le seront encore, à ne pas se précipiter dans les bureaux d'inscription ni encore dans les bureaux de vote. Même le citoyen lambda ne croit plus à ce genre de slogan dont plusieurs partis politiques se sont emparés à des fins électoralistes, y compris ceux qui se réclament de l'idéologie religieuse et ne croient pas en la démocratie. Certes, le vote, en tant que tel, est un droit susceptible d'être ou de ne pas être exercé. Mais il est aussi un acte de responsabilité et s'inscrire pour pouvoir voter et choisir devrait être considéré comme un devoir. Toutefois, l'Isie aurait pu trouver mieux que ce slogan si elle avait élargi la consultation. Les Tunisiens ont quand même «du plomb dans la cervelle». Passons. Les jeunes, c'est 30% du potentiel électoral L'opération d'inscription qui a démarré le 23 juin, doit toucher plus de 4 millions de Tunisiens sur un total de 8 millions cinq cent mille électeurs potentiels âgés de 18 ans et plus. Etant entendu que ceux qui se sont déjà inscrits avant les élections du 23 octobre 2011 ne sont pas obligés de refaire l'opération, sauf changement de bureau de vote. Pour rappel, lors des élections de l'Assemblée nationale constituante, le 23 octobre 2011, sur un nombre potentiel d'électeurs de près de huit millions, seulement un peu plus de quatre millions se sont volontairement inscrits et 85% d'entre eux sont allés voter, alors que sur trois millions 870 mille inscrits automatiques, 15% seulement ont voté. L'âge légal de vote ramené de 20 à 18 ans en 2008 a été confirmé dans la nouvelle Constitution. Une nouvelle population, plus jeune, va avoir la possibilité d'exercer ce droit et d'agir sur l'issue des résultats des prochaines élections. Ils sont près de 880.000 jeunes qui, entre octobre 2011 et octobre 2014, ont atteint cet âge. Mais ils sont beaucoup plus nombreux ceux qui ont, aujourd'hui, entre 18 et 29 ans, l'âge de la jeunesse, environ 2 millions 500 mille, soit 24 % de la population globale et près de 30 % des électeurs. Un nombre important d'électeurs qui, s'ils se mobilisent, pourront faire la différence. Or, et c'est devenu un véritable phénomène mondial, les jeunes ne s'intéressent pas aux élections, du moins, ils ont tendance à moins y participer que les citoyens les plus âgés. Plusieurs enquêtes et sondages initiées dans beaucoup de pays démocratiques, ont démontré que «la majorité des gens qui votent sont d'âge adulte ou plutôt vieux» et que «les jeunes refusent de voter et de participer aux élections parce qu'ils ne s'intéressent plus ni à la chose publique ni à la politique». Ils ont adopté d'autres formes d'engagement et de participation, créé d'autres méthodes et opté pour d'autres moyens pour marquer leur différence et leur singularité. Ils sont là, on les voit dans les manifestations, sur les réseaux sociaux...pour faire entendre leurs voix. «Une participation qui se retrouve principalement dans des formes d'engagement politique non instituées, plus que dans le cadre d'une organisation, d'un parti ou d'un syndicat». Les repères ont changé, les valeurs et les grandes problématiques aussi. La participation des jeunes dans la vie publique de manière générale est tributaire des changements dans la manière de la perception de la société à leur égard et sa capacité à les intégrer dans les différents circuits. Le niveau de participation pourrait varier entre la pure manipulation et la mise en place de véritables programmes conçus et réalisés par les jeunes eux-mêmes. Les démarches ponctuelles doivent être écartées et il faut penser à insérer les stratégies de participation de la jeunesse dans un cadre institutionnel et structurel ainsi que dans les processus de développement politique, social et économique. Quand on voit que dans les différents gouvernements formés après le 14 janvier 2011, la jeunesse n'a pas encore trouvé sa véritable place dans les institutions de l'Etat, on commence à douter de la capacité des décideurs politiques à ériger ce secteur en secteur stratégique prioritaire. J'ai personnellement proposé depuis plus d'une dizaine d'années de rattacher le secteur de la jeunesse directement au Premier ministère, comme c'est le cas dans certains pays développés, s'agissant d'un secteur transversal commun à plusieurs départements. Aujourd'hui, quand on voit le plus jeune des membres du gouvernement Jomâa hériter d'un département «fourre-tout» où se trouvent rassemblés quatre domaines sensibles, que sont la femme et la famille, l'enfance, le sport et la jeunesse, on comprend que ce secteur est «un laissé-pour-compte». Le chef de gouvernement pourrait, et on ne doute pas de sa bonne volonté, penser à la création d'un conseil exécutif, et non consultatif, en charge de la jeunesse, présidé par lui-même et composé des membres du gouvernement concernés et des représentants de la société civile, avec pour principale mission la coordination des programmes destinés aux jeunes et, à terme, l'élaboration d'une stratégie d'action pour la jeunesse. Cependant, et au vu de la situation qui prévaut dans le pays caractérisée par un imbroglio politico-médiatique, les jeunes se sentent exclus de toute forme de participation dans la prise de décision et ne bénéficient pas de la priorité qui devrait leur être accordée. Je ne reviendrais pas sur les rêves brisés de la jeunesse tunisienne sur les rochers de Lampedusa, ou dans l'enfer du djihad ou encore dans les prisons italiennes et dans celles de leur pays. Je ne reviendrais pas non plus sur les promesses non tenues des gouvernements issus des élections du 23 octobre 2011 et qui avaient fait miroiter tant d'espoirs aux jeunes. Je me contenterais de rappeler que l'euphorie qui a suivi les premiers jours de l'après – 14 janvier 2011 a cédé la place aux sentiments de frustration et de désillusion, face à une réalité au visage émacié, cruelle et crue. Je vote, donc je suis Comment pourrait-on mobiliser les jeunes et les inciter à s'inscrire sur les listes électorales et aller voter? Question fondamentale à laquelle des réponses concrètes devraient être apportées. Et il ne revient pas à la seule Isie de trouver «la panacée». Comme on n'a pas besoin d'opérations de communication à des fins électoralistes, qui risqueraient de tourner au ridicule, pour encourager les citoyens en âge de vote à s'inscrire dans les listes électorales. Franchement, la question doit être prise avec beaucoup plus de sérieux tant au niveau des structures publiques, celles qui sont en charge de la jeunesse appelées à s'impliquer davantage dans cette opération, qu'au niveau des partis politiques démocratiques, de la société civile et des médias. Mais attention à une trop grande implication de la société civile dont les contours sont devenus flous avec une connotation idéologique et religieuse trop marquée. Il en est de même pour certaines organisations étrangères, voire onusiennes, qui ne vous donnent rien sans contrepartie. Tout un plan devrait être élaboré comprenant des slogans accrocheurs, un guide simple pour jeunes votants, une campagne de sensibilisation bien ciblée. Un plan qui répondrait au besoin de se familiariser avec les outils et les supports destinés à véhiculer les messages à l'attention des jeunes électeurs, messages adaptés au public ciblé et pouvant trouver écho auprès des populations visées. Sensibiliser c'est informer, c'est-à-dire fournir aux citoyens les informations les plus élémentaires, dans un langage simple, concernant tout le processus électoral en vue d'accroître leur intérêt pour les élections. C'est pourquoi, les médias ont un rôle capital à jouer dans cette opération. Encore faudrait-il que l'action soit bien coordonnée pour éviter toutes sortes de manipulation, de propagande et d'exploitation à des fins autres que le vote comme devoir. Ils devraient accorder plus de place aux jeunes, orienter les débats vers une meilleure prise de conscience de l'importance des prochaines élections et qui décideront de l'avenir du pays dont les jeunes sont le plier. Sans trop de tapage. «Un homme, une femme, une voix». Ne pas voter c'est laisser les autres décider à sa place. Le prétexte souvent avancé dans de telles situations, c'est que les politiques sont tous les mêmes, ils nous gavent de promesses qu'ils ne tiennent jamais. Ce qui n'est pas totalement faux. Mais quelle serait l'alternative, leur laisser la voie libre? «Je vote, donc je suis», serait-on tenté d'écrire en paraphrasant René Descartes et son « cogito ergo sum», (je pense, donc je suis).