L'argent coulera-t-il à flots pour acheter des voix et s'offrir le maximum de sièges au palais du Bardo ? Déjà, les associations d'observation de l'intégrité de l'opération électorale fourbissent leurs armes devant ceux qui se préparent à ouvrir les mannes dans l'espoir de rafler la mise, le 26 octobre prochain. Tout le monde parle de l'argent politique qui va couler à flots à l'occasion de la campagne électorale pour les législatives devant démarrer le 3 octobre prochain pour être clôturée le 24 du même mois. Et les rapports sur les financements occultes des partis politiques de se multiplier, concoctés par des associations se proclamant les gardiennes de la transparence financière et de l'intégrité démocratique de l'opération électorale avant même qu'elle ne commence. Sauf que ces associations ne montrent pas dans leurs rapports comment les partis incriminés (qui ne sont jamais cités par leurs noms) sont parvenus à amasser tant d'argent ni quelles sont les sources tunisiennes ou étrangères auprès desquelles ils renflouent leurs caisses. A quelque dix jours du dépôt des candidatures pour les législatives (22 août) et au moment où la guerre des listes est à son apogée au sein de tous les partis politiques où les mécontents et les prétendants écartés menacent de faire cavalier seul, il est instructif de s'interroger comment les associations d'observation de l'intégrité des élections présidentielle et législatives se préparent en vue de veiller à ce que l'argent politique n'interfère pas dans les choix des électeurs et n'impose pas de futurs députés dont les partis seraient prêts à dépenser largement pour acheter des voix et convaincre les récalcitrants ou les indécis. La Presse a évoqué ces interrogations avec les acteurs se portant volontaires pour l'observation de la campagne électorale, plus particulièrement au plan des dépenses financières qu'elle engendrera. Il s'agit de Abdesattar Ben Moussa, président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme, qui a déjà réactivé son observatoire pour le suivi des élections, de Kamel Gharbi, président de la coalition Ofiya pour l'observation de l'intégrité des élections, de Raouf Boutar, vice-président de l'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections, et de Bilel Aleya, coordinateur à l'Association I Watch. Un juriste, le Pr Amine Mahfoudh, intervient également dans le débat pour expliciter comment les dépenses électorales doivent être contrôlées au cours de la campagne et comment s'opposer aux éventuels abus ou dépassements. Témoignages. Abdessattar Ben Moussa, président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme : «Nous aurons près de 2.000 observateurs sur l'ensemble de la République» Nous avons déjà réactivé l'Observatoire de contrôle des élections qui a déjà été opérationnel lors des élections du 23 octobre 2011. La mission de nos observateurs consistera à suivre la campagne électorale à travers l'ensemble de la République et à détecter les dépassements que les différents candidats pourraient commettre. Pour ce qui est des dépenses faramineuses, nos observateurs attireront l'attention dans des rapports qui seront soumis à l'Instance supérieure indépendantes des élections sur les pratiques qui leur paraîtront douteuses pouvant laisser comprendre qu'il y a des sommes d'argent qui sont concédées à quiconque. Pour ce qui est du plafond des dépenses électorales, il doit être fixé dans un décret qui doit être émis par le chef du gouvernement et nous espérons que ce décret sera publié dans les prochains jours. L'Observatoire des élections relevant de la Ligue emploiera près de 2.000 volontaires (des indépendants, des militants de la Ligue, etc.). Il leur sera dispensé, dans les prochains jours, une formation qui leur permettra d'assumer leur mission dans les meilleures conditions possibles. Amine Mahfoudh, professeur de droit constitutionnel : «L'Isie contrôle au fur et à mesure» C'est à l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) que revient la responsabilité du contrôle quotidien des dépassements à caractère financier dans lequel pourraient tomber certains partis ou candidats à la future chambre des députés du peuple. Idem pour l'élection présidentielle. Les contrôleurs de l'Isie ont le devoir absolu d'attirer l'attention de l'Instance sur les dépenses faramineuses. Et l'Isie a le droit d'intervenir pour arrêter, à temps, les abus. Pour ce qui est du plafond à ne pas dépasser, il devrait être défini dans un arrêté gouvernemental signé par Mehdi Jomâa, chef du gouvernement. Normalement et au vu du calendrier électoral fixé par l'Isie, ce décret devait être publié, mais on ne sait pas qu'attend Jomâa pour le faire. Quant à la Cour des comptes, son action intervient après la proclamation des résultats des élections pour dresser la liste des partis qui devront rendre à l'Etat les financements reçus au cas où ils n'atteindraient pas le seuil minimum. Dr Kamel Gharbi, président de la Coalition Ofiyaâ pour l'observation de l'intégrité des élections : «Nous mènerons une guerre sans merci contre l'achat des voix» Nous avons demandé que la loi électorale sur la base de laquelle se tiendront les élections présidentielle et législatives de 2014 autorise les associations de la société civile d'observation des élections à se procurer les rapports de comptes relatifs aux dépenses concédées par les partis politiques lors des précédentes élections afin que l'on puisse vérifier la masse des dépenses entre deux élections. Malheureusement, les constituants n'ont pas accédé à nos demandes. Ce droit a été concédé uniquement à la Cour des comptes. Par ailleurs, la loi électorale en vigueur prévoit uniquement des sanctions financières au cas où les rapports ne seraient pas publiés par les partis politiques dans les délais prescrits alors que nous avons appelé à ce que les résultats soient annulés dans ce cas. Malheureusement, la mission de la société civile en matière de contrôle des dépenses électorales est devenue très difficile. Mais cette situation ne nous empêchera pas de nous mobiliser pour mener une guerre sans merci à l'encontre de l'achat des voix des électeurs. Dès le démarrage de la campagne électorale le 3 octobre prochain, nous lancerons une campagne de sensibilisation auprès des électeurs contre ce phénomène. D'autre part, nos observateurs qui seront au nombre de 2.000 sur les 27 circonscriptions électorales (à l'intérieur du pays) guetteront toutes les manifestations ou activités des partis politiques où l'argent coulera à flots. Ils rédigeront des rapports sur les éventuels abus constatés à l'adresse de l'Isie et de la Cour des comptes qui prendront les décisions qui s'imposent. Notre mobilisatiosn se poursuivra auprès de la prochaine Assemblée des députés du peuple en vue de les pousser à obliger les partis politiques et les associations à se conformer aux décrets 87 et 88 de l'année 2011 relatifs à la déclaration de leurs comptes financiers. Raouf Boutar, vice-président de l'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections Suivi de l'étendue des activités des partis Nous avons déposé des demandes auprès de la Banque Centrale et la Cour des comptes concernant certains transferts, transactions et nous avons demandé à savoir l'origine de l'argent dont disposent les partis. Ces demandes sont restées lettre morte ! Nous avons, donc, procédé à l'envers et nous allons suivre l'étendue des activités des partis durant la campagne électorale pour en dégager une évaluation des budgets et nous resterons en contact avec des experts-comptables. Actuellement, nous sommes en train de former les équipes qui vont observer la campagne électorale, et ce avec le concours de notre partenaire en expertise depuis 2011, «Democraty reporting international». Durant le prochain week-end, vendredi, samedi et dimanche, un expert international formera ces équipes en matière d'observation du financement des campagnes. Nous avons engagé d'autres équipes pour l'observation de l'inscription des électeurs et d'autres pour la sensibilisation à l'inscription. D'autre part, nous avons constitué un pôle juridique composé de conseillers, d'experts et de responsables juridiques des 26 bureaux régionaux déjà installés. Ce pôle a mis le point sur le volet juridique inhérent à l'enregistrement des électeurs et il va aussi étudier les dossiers de candidature, notamment les recours. L'Isie est dépourvue des mécanismes de sanctions. La société civile a été écartée et cela a été un point autour duquel tous les politiciens se sont mis d'accord. Côté médias, nous attendons la campagne pour voir comment va réagir la Haica. Au vu de ce qui se passe — dépassements, défaillances et aberrations —, on a des doutes autour du déroulement du processus électoral dans sa globalité. De même, on craint pour la question de la levée du secret bancaire. Soit on adopte des lois à l'esprit des élections, soit les choses ne vont plus marcher. Bilel Alaya, coordinateur à «I Watch» des circonscriptions de Tunis 1 et 2 Cinq circonscriptions ciblées et juste les principaux partis C'est aujourd'hui qu'a démarré notre projet de contrôle du financement des campagnes électorales des partis avec une équipe de 40 contrôleurs dont onze sont affectés dans les deux circonscriptions de Tunis, dont je suis le coordinateur. Globalement, on a opté, faute de moyens, pour le contrôle de certains partis, les plus importants du point de vue poids, dont la liste sera décidée ce soir et elle peut être modifiée si l'on voit naître des coalitions électorales importantes. Pour Tunis, nous avons deux partis principaux à suivre, à savoir le Mouvement Ennahdha et Nida Tounès. Nous contrôlerons aussi les circonscriptions de Sfax 1 et 2, Sousse et Gafsa. Leur choix a été dicté par le poids démographique de ces régions ainsi que par les enjeux politiques selon plusieurs critères. Pour le moment, la liste comprend cinq ou six partis et elle pourra s'étendre à d'autres partis ou coalitions. Notre mission va se prolonger jusqu'au 25 octobre, date du silence électoral. Dans notre action, nous allons nous concentrer sur les évènements, tels que les meetings, où il y aura une grande concentration des citoyens. Et nous allons suivre les endroits où il y aura un contact direct avec les électeurs tels que les souks, les grandes surfaces, les salles des meetings, etc. Nos observateurs vont procéder à leur mission en remplissant un formulaire bien défini avec de grandes lignes telles que le financement public, celui privé, en notant les frais du loyer des espaces et des salles de congrès, la valeur des cadeaux destinés aux citoyens, le décompte des bus à louer, etc. Actuellement, nous attendons les accréditations de l'Isie, la délimitation du plafond de financement public et les nouvelles coalitions électorales pour peaufiner notre mission de contrôle.