La loi antiterroriste continue de diviser les constituants : Mustapha Ben Jaâfar voudrait que sa discussion le 28 octobre prochain. Les constituants du bloc démocratique y voient un acte anticonstitutionnel... Avec l'Assemblée nationale constituante (ANC) issue des élections du 23 octobre 2011, on aura tout vu. Des constituants qui s'insultent lors des séances plénières, un autre qui essaye d'agresser un collègue, des constituants qui font adopter un projet de loi relatif à la création du Fonds d'indemnisation des victimes de la dictature à minuit sans que le ministre des Finances ne soit au courant, un président de commission constituante qui arrache les registres de la commission des mains de sa collègue sous les caméras de la TV et d'autres constituants qui piétinent le texte de la Constitution sous prétexte que son contenu ne répond pas à leurs désirs. Voilà les exemples les plus marquants des scènes désolantes qu'on a eu à vivre, en direct durant les trois années d'exercice de l'ANC. Et «Sayyido Nefsihi» (le maître de son sort), comme aiment à se qualifier les constituants, de poursuivre leur fuite en avant en créant un précédent dans l'histoire de l'action parlementaire dans le monde. Le bureau de l'ANC vient, en effet, de publier un communiqué dans lequel il annonce que les constituants reprendront, le 28 octobre prochain, la discussion et l'adoption de la loi antiterroriste dont seuls quelques articles ont été adoptés jusqu'ici et d'autres rejetés faute de consensus, avant que Mustapha Ben Jaâfar n'accorde aux membres de l'ANC un congé électoral qui démarre demain et qui prend fin le 25 octobre prochain, soit un jour avant que les Tunisiens n'élisent la prochaine Assemblée des députés du peuple pour un mandat de cinq ans. En d'autres termes, et à bien lire le communiqué du bureau de l'ANC, le mardi 28 octobre prochain, les constituants dont le mandat expire normalement le dimanche 26 octobre auront la possibilité de faire passer la loi antiterroriste, l'une des lois fondamentales de la Tunisie post-révolution, alors que les députés fraîchement élus attendront devant les grillages du palais du Bardo que les constituants à validité consommée achèvent le travail. Un quiproquo juridique qui a suscité un tollé général au sein de l'ANC, entre ceux qui considèrent qu'il n'est plus du ressort de constituants sortants d'examiner une telle loi et ceux qui essayent d'interpréter la Constitution à leur manière, plus particulièrement les dispositions de son article 148, pour soutenir que l'ANC sortante a le droit d'examiner et d'adopter la loi antiterroriste tant que la nouvelle Assemblée des députés du peuple n'a pas encore pris ses fonctions. La discorde, de retour Et les querelles de reprendre entre les constituants sur la lecture, précisément, de l'article 148 de la Constitution. Fadhel Moussa, constituant du bloc démocratique, est tranchant dans son analyse : «L'article 148 de la Constitution est clair et précis. Il stipule textuellement ce qui suit : l'Assemblée nationale constituante poursuit ses activités jusqu'à l'élection de l'Assemblée des députés du peuple». Il n'y est pas indiqué que l'ANC poursuive sa mission jusqu'à ce que la nouvelle Assemblée des députés du peuple prenne ses fonctions. Donc, partant de cette lecture, la reprise le 28 octobre prochain, par l'ANC sortante, de la discussion de la loi antiterroriste est un acte anticonstitutionnel. Moi, personnellement, je n'assisterai pas à cette plénière, que je sois réélu ou non, tout simplement parce que je refuse de violer la Constitution à l'élaboration de laquelle j'ai contribué». Et Fadhel Moussa de poursuivre : «Sur le plan pratique, la plénière prévue le 28 octobre prochain ne peut se tenir, puisque déjà les 2/3 des constituants actuels non-candidats aux législatives ne répondront pas à l'appel de Ben Jaâfar, alors que les candidats parmi le tiers restant qui tomberont aux élections n'auront plus rien à faire au siège du Bardo. Par conséquent, il est illogique que cette plénière se tienne à la date annoncée par le bureau de l'ANC». Le même constituant exprime sa surprise de voir le bureau de l'ANC annoncer la plénière le 28 octobre prochain «puisque lors de la dernière séance plénière, Larbi Abid, deuxième vice-président de la Constituante, nous a soumis l'ordre du jour de la plénière devant avoir lieu avec les vacances parlementaires. L'ordre du jour comprenait deux projets de loi, l'un relatif à l'approbation d'une convention de crédit et l'autre portait sur le changement du caractère de certaines terres agricoles. J'ai demandé personnellement à ce que la séance plénière décide, en toute souveraineté, si la loi antiterroriste sera discutée de nouveau ou transférée au prochain Parlement. Malheureusement, ma proposition n'a pas été retenue et j'ai dû quitter l'ANC en signe de protestation». Une lecture contraire Du côté de ceux qui sont pour la tenue de la plénière le 28 octobre prochain, on avance une autre lecture de l'article 148 de la Constitution : Habib Khedher, constituant d'Ennahdha et rapporteur général de la Constitution soutient, en effet, dans les déclarations publiées dans certains journaux de la place, que l'article 148 de la Constitution prévoit dans son deuxième paragraphe que «l'activation de la nouvelle Assemblées des députés du peuple a lieu après l'annonce des résultats définitifs des élections législatives, ce qui permet à l'ANC de poursuivre sa mission, le temps que dureront les recours qui seront introduits devant la justice par les mécontents des résultats du scrutin du 26 octobre 2014». Reste à savoir comment cette querelle sera résolue par les constituants qui ont maintenant d'autres priorités et dont la majorité écrasante ont déjà décidé de déserter le palais du Bardo par qu'ils considèrent que l'ANC du 23 octobre 2011 a vécu.