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Meddeb, tel que je le vois
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 11 - 2014

Abdelwahab Meddeb était érudit, cosmopolite, polyvalent et radical. Peut-être le plus d'entre tous les lettrés arabes à l'être. Erudit, il connaissait souvent plus ou au moins autant que n'importe qui sur n'importe quel sujet abordé en sa présence. Préformé dans la culture arabe, il connaissait les secrets de la pensée islamique. Formé à l'école de l'Occident, il était familier de ses multiples écoles de pensée. Il pouvait discourir sur la culture et l'art asiatiques avec autant d'autorité que de la théologie de la libération ou de l'art gothique. Philosophie Magazine a publié d'ailleurs un dialogue qu'il avait eu avec un penseur asiatique (japonais si mes souvenirs sont bons). Cosmopolite, il se sentait plus citoyen du monde par-delà tout pouvoir souverain. Il s'est d'ailleurs référé dans ses réflexions sur l'étranger au traité Vers la paix perpétuelle où Kant définit le droit cosmopolite comme celui qui transcende le droit politique étatique et qui traite les hommes comme citoyens d'un même monde. Le volumineux ouvrage — plus d'un millier de pages — qu'il a dirigé sur L'histoire des relations entre Juifs et Musulmans (Albin Michel, 2014) en est l'illustration. Polyvalent, il s'ennuyait dans un genre. Il était romancier, poète, essayiste, penseur et journaliste. Il était incollable sur le soufisme et nul ne connaît mieux que lui l'art islamique. Ses pérégrinations légendaires dans les ruelles de la médina sont consignées dans Talismano. Critique virulent de tous les conservatismes, il était sans concessions sur la question de la sécularité et de la modernité.
C'était un grand humaniste comme il en existe rarement dans les temps contemporains. Il a fait sien cet énoncé de Térence : «Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger». Il rappelle Miskawayh ou Tawhidi, des hommes de lettres qui ont écrit des choses doctes, belles et intelligentes, entre l'Adab et la sapienza, un écrivain philosophe (ni un pur philosophe ni un simple romancier), un essayiste plus proche de Camus que de Sartre. Il caressait l'espoir de fonder une nouvelle « Weltlitteratur », une littérature mondiale, ouverte à toutes les littératures, c'est-à-dire qui résume le monde dans la pensée. C'était le projet de Goethe et des romantiques allemands dont il a voulu faire un programme de vérité, adapté à sa Weltanschauung, sa vision du monde. Je doute fort que cette vocation transculturelle lui fût inspirée par son milieu d'origine. Les zeitouniens n'étaient pas animés par ce désir boulimique de tout savoir sur tout ; et le collège Sadiki se contentait de donner une bonne formation générale. Il était inspiré, je crois, par son propre daïmon (le dieu intérieur, ni mortel ni immortel), cette voix intérieure qui l'a poussé à suivre sa propre voie. Il a conçu son itinéraire comme un Hollzweg, « un chemin qui mène nulle part », une errance à la recherche de soi. Peut-être est-ce l'exil qui l'a forcé à voyager et se déplacer, sillonner le monde ; mais il se peut qu'il ait voulu un peu suivre son maître nomade Ibn Arabi. C'est peut-être cette envie esthète d'être toujours décalé, d'être ailleurs – toujours ailleurs –, qui le mène vers le soufisme, compris davantage comme une quête de l'absolu qu'une doctrine immanentiste. Pour qu'on s'en rendre compte, il suffit de lire La maladie de l'islam qu'on réduit à tort à un livre anti-islamiste post-11 Septembre 2001. On y découvre en toile de fond un homme qui décrit des stances, des haltes dans les différents sites, à la recherche des lumières islamiques. Il dialogue avec ses partenaires de voyages et ses collègues pour expliquer à sa manière « What went wrong ? » (Que s'est-il passé ?).
J'ai plus fréquenté l'œuvre que connu l'homme. Il était réservé, mais je crois plus par fragilité — car s'il se savait vulnérable — que par suffisance. Et puis, j'ai découvert qu'il est d'une grande générosité. Ces derniers temps, Abdelwahab Meddeb appelait ses amis tous les jours. Il suivait de près les événements. Son appel à voter Nida Tounès et Béji Caïd Essebsi a eu un grand effet. Même Béji s'en est publiquement prévalu. Et puis, on déplore le silence de l'intellectuel ! Quand j'en ai informé notre éditeur commun, Jean-Louis Schlegel, ce dernier m'a répondu, « Etrange et formidable en même temps, ce besoin de revenir au pays de l'enfance avant de partir ».
A la fin de l'année dernière, de Barcelone où il était avec son épouse Amina, il m'a fait parvenir un poème intitulé « Supplique pour l'an qui vient », dans lequel le 26 décembre, il prie la nouvelle année d'épargner l'arbre chétif dans son cercle de terre :
Que dis-tu de nos pas qui chargent le monde ?
Sais-tu que des semelles battant le macadam
Fusent des étincelles qui blessent l'arbre
Debout chétif dans son cercle de terre ?
Entend-il le fracas des forêts qu'on abat
Au flux des gaz qui émanent de nos corps ?
L'usine rumine autant que vaches
Comblant le pré où elles broutent ;
Les ailes du papillon s'emballent
Du sous-bois à l'intérieur des armoires,
Cachemire troué çà et là la chair se voit,
Chandail criblé du condamné qu'on mitraille ;
Chante plutôt la grâce du soleil – où il donne
Et offre-lui la main qui apprivoise
Quand craquelle et calcine la grenade
Qu'il a teinte comme joues que vent hale
Inconsolables, Amina, Hind et sa famille le pleurent, ses amis aussi. J'ai une pensée particulière pour ses amis intimes, Fadhel Jaziri et Ali Mezghani.
A mon tour de m'agenouiller en signe de respect pour l'homme et son esprit.


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