Il n'est pas difficile de renifler les senteurs enivrantes des oasis de Gabès même à quelques centaines de kilomètres. Il suffit, pour ce, de faire par exemple l'acquisition d'une "mdhalla" typique, fabriquée soigneusement par des mains savantes, et dont la perfection des tresses de feuilles de palmier " zaâf" dénote d'un savoir-faire inimitable. Ancestrale, actuelle, atemporelle même, la " mdhalla" ( Chapeau de paille) a su défier les revirements de la mode, prouvant ainsi qu'elle est quasi imbattable car, unique. Dans les régions du Nord, et plus précisément dans le milieu urbain, d'autres couvre-chef ont connu, depuis un certain temps, un succès palpable. Les casquettes et les chapeaux ont séduit les Tunisiens les plus "in". Soit. Cependant, ces accessoires sont plus appréciés pour leur touche " branchée" que pour leur efficacité à faire face aux UVA et à l'insolation. La " mdhalla" typiquement tunisienne, en revanche, n'a rien à se reprocher. Ce produit artisanal détient toutes les vertus d'un couvre-chef à la fois efficace, naturel, sobre et élégamment authentique. De racines sudistes, la " mdhalla" se trouve également concoctée par un certain nombre d'artisans issus de plusieurs régions, dont l'objectif est de répondre positivement à la demande locale. Nous sommes en pleine période caniculaire. Le soleil darde nos rues. Ses rayons costaux pointent sur nos têtes jusqu'à en semer la migraine. Mais la " mdhalla" est là pour nous protéger contre cet astre violent. Yosri a la cinquantaine. Il traverse la rue d'Espagne en pressant le pas et en essuyant les abondantes gouttelettes de sueur qui jaillissent de son visage. Il presse le pas mais il ne craint pas trop le soleil de 11 heures. " J'ai mon chapeau de paille qui me protège du soleil. D'ailleurs, je ne sors jamais sans", énonce-t-il, essoufflé Il n'est pas le seul à avoir pris l'habitude de se munir de la " mdhalla", Hammadi vient de quitter le marché central. Ce monsieur âgé de 62 ans, porte infailliblement la "mdhalla" durant la saison chaude. " Chaque été, je fais l'acquisition d'une nouvelle " mdhalla". Les médias et les médecins ne cessent de nous prévenir des méfaits de l'insolation et des coups de soleil. Je pense que la "mdhala" est idéale pour se protéger. D'autant plus qu'elle a un aspect sobre et original qui sied parfaitement aux hommes de mon âge", indique-t-il. Joindre l'utile à l'agréable Sobre et efficace, simple et original, le chapeau de paille traditionnel s'avère en outre accessible à toutes les bourses. H.M est un commerçant spécialisé dans la vente des féculents et des produits artisanaux fabriqués à partir des feuilles de palmier, est que les couffin, les éventails appelés communément " mrawah" et les " mdhalla". Sa carrière dans ce métier remonte à 25 ans. Au fil du temps, H.M a pris conscience de la place qu'occupe la " mdhalla" dans les habitudes vestimentaires des Tunisiens. " La mdhalla n'a jamais été dépassée de mode. Elle bénéficie d'une demande qui n'a jamais régressé", affirme-t-il. Accessible à tous En examinant les chapeaux de paille proposés par notre commerçant, l'on remarque que tous les chapeaux sont fabriqués à partir d'un modèle unique: Une sphère centrale qui se termine, en haut, par une surface plate et se disperse en une sorte d" anneau" servant de protéger le visage et la nuque du soleil. "Le modèle est le même mais le prix varie suivant la qualité de la paille. Aussi, trouvons-nous des chapeaux qui valent 3dt, d'autres qui se vendent à 5dt. Les meilleurs sont à 10dt", précise-t-il. Et d'ajouter que ceux estimés de troisième choix sont de loin plus rigides que les autres. Les tresses sont moins parfaites car les feuilles de palmier sont plus épaisses. H.M renchérit: " Bon nombre de clients sont des ouvriers. Ils affichent donc une préférence pour les chapeaux assez grands pour avoir une protection optimale". Quand les femmes s'y mettent Séduit par un thème qui lui tient à coeur, Ahmed Dadi, jeune technicien supérieur en électronique et originaire de Gabès précise qu'une mdhalla de qualité peut même se vendre à 15dt. A ce prix, le client peut être certain qu'elle ne se plierait pas au moindre coup de vent et donc ne s'abîmerait pas facilement. " Dans les régions du sud, le port de la mdhalla est quasi sacré. A Gabès, ce sont les hommes qui la portent le plus. Du côté de Djerba, par contre, la balance est inversée. Les femmes ne sortent jamais sans leurs chapeaux de paille", précise-t-il. Ce qui est intéressant, en outre, à noter, c'est que les femmes optent de plus en plus pour la "mdhalla". Certes, dans les régions du sud, se munir d'un chapeau de paille fait partie des coutumes vestimentaires de la gent féminine. Dans les régions du nord, convertir la "mdhalla" en un accessoire mixte s'avère un phénomène récent. Olfa est une jeune comptable, âgée de 27 ans. Voilée, elle porte par dessus le foulard un chapeau de paille artisanal. " Je le porte par conviction. En effet, j'ai déjà essayé les chapeau synthétique que l'on vend un peu partout et j'ai constaté leur inefficacité. Par contre, même petit, le chapeau de paille me protège nettement mieux. D'autant plus qu'il est lavable et dure plus longtemps", nous confie-t-elle. Quelles perspectives pour la mdhalla? Manifestement, la mdhalla persiste en dépit des changement de goût et malgré l'invasion des chapeaux synthétiques. Mais jusqu'à quand? Quelle avenir pour le chapeaux de paille traditionnel et quelles perspectives? Il est vrai que les produits artisanaux faits à base de "Zaâf" s'exportent assez bien dans certaines contrées lointaines comme le Japon. Toutefois, la baisse significative du nombre des artisans spécialisés dans cet art suscite l'inquiétude. "Dans la localité dite "El jara", située à Gabès et réputée pour la fabrication des chapeaux de paille, ce sont essentiellement des artisans d'un certain âge qui assurent la pérennité de la production. Démotivés par un domaine peu rentable, les jeunes le fuient, menaçant ainsi ce savoir-faire ancestral par une éventuelle stagnation", fait remarquer Ahmed non sans amertume. Chapeaux synthétiques ou le choix maladroit Il est vrai que la mdhalla tunisienne résiste aux chapeaux concurrents qui envahissent surtout les étals clandestins, mais cette résistance n'est pas la règle pour tout le monde. Si, dans les régions du Sud, les femmes continuent à opter pour le chapeau de paille traditionnel, ce n'est point le cas dans les régions restantes. A Tunis, par exemple, les chapeaux bon marché — pour ne pas dire bas de gamme — prennent nettement le dessus sur la mdhalla, et ce, pour diverses raisons. Rencontrés n'importe où et exposés n'importe comment, les chapeaux synthétiques, fabriqués à partir de ficelles en plastique, sont à la disposition des passants mais surtout des passantes. Martelée par un soleil de plomb qui cogne, sans gêne, sur sa tête, une femme n'hésite aucunement à faire l'acquisition de n'importe quel article, susceptible de la sauver de ces sévices climatiques. Elle sautera, donc, sur l'occasion, sans chercher à exiger un produit d'une qualité impeccable. Autre point fort de ces chapeaux envahisseurs: le prix. Vendus clandestinement, les chapeux synthétiques, provenant selon les dires d'un marchand clandestin des pays de l'Asie et, en particulier, de Chine, sont accessibles à toutes les bourses. Leurs prix n'excèdent aucunement les cinq dinars. D'autant plus qu'avec un peu de patience et un bon marchandage, l'on finit, à coup sûr, à avoir son chapeau à une somme dérisoire. Disponible à tout bout de champ, accessible à toutes les bourses, le chapeau synthétique se présente comme un «sauveur imprévisible»; un sauveur qui répond à tous les goûts, même les plus «sophistiqués». En effet, si l'on examine les chapeaux bon marché qui défilent sous nos yeux, portés par des femmes de tout âge, l'on s'étonne souvent — non sans dégoût d'ailleurs — des modèles trop chargés et sans goût. Certaines consommatrices raffolent, en effet, de gros papillons et de grosses fleurs qui ne passent aucunement inaperçus. Elles ne trouveront sûrement point de pareilles « extravagances» dans le modèle simple et sobre de la mdhalla. Certes, mais elles auront à subir l'effet de la chaleur renforcée par la réaction thermique des ficelles en plastique sous les rayons du soleil. Elles auront, de surcroît, à découvrir la qualité médiocre des chapeaux bas de gamme qui concurrencent notre produit artisanal et menacent notre identité vestimentaire. Pourtant, elles auraient pu éviter et le grotesque, et la mauvaise qualité et l'altération au secteur artisanal de la mdhalla et des fibres végétales en optant, tout simplement, pour une mdhalla typique, simple et élégante et en la féminisant par un foulard assorti à la tenue du jour. L'une des plus grandes dames de la mode internationale y a bien pensé. Coco Chanel a compris toutes les vertus du chapeau de paille. Elle l'a valorisé par de fins ornements. Elle avait bien raison. Pensons-y! D.B.S.