Le parcours du militant de gauche, Laâfif Lakhdhar, inspire la trame de «L'avocat du diable» La nouvelle pièce du metteur en scène Riadh Hamdi « L'avocat du diable » («Al hiwar al akhir» en arabe) vient de faire l'objet d'un cycle de représentations. Le week-end dernier au Rio, le public a pu découvrir cette pièce qui vaut bien le déplacement. Une panoplie de comédiens, comme Ridha Boukadida dans le rôle de Laafif Lakhdhar, Wafa Taboubi, Hajer Ghars, Neji Kanawati et Kais Aouididi, participe à cette œuvre qui n'a pas froid aux yeux, et dont Riadh Hamdi signe la dramaturgie et la mise en scène. En 2013, l'intellectuel et militant de gauche tunisien vivant en France, Laafif Lakhdhar, met fin à ses jours. Il annonce son suicide sur Facebook et explique même comment il va procéder. Ce fait peu ordinaire a alimenté la dramaturgie de «L'avocat du diable», qui s'en inspire librement. «Tout est écrit», nous explique Riadh Hamdi. Et d'ajouter : «Nous avons imaginé un retour au pays où Laâfif Lakhdhar est invité pour un hommage, avant d'être victime d'une tentative d'assassinat et de mettre fin à ses jours». La confrontation des pensées Transposé en Tunisie, ce suicide n'a plus le même sens mais il reste fortement symbolique. L'intellectuel de «L'avocat du diable» s'appelle Takieddine Al Mokrizi. Une association qui prône la pensée rationnelle et moderniste l'invite dans son pays natal afin de donner une conférence sur «Les raisons de la dégradation de la pensée arabo-islamique». Pendant cette conférence, Abdelhafidh, le jeune technicien de lumière au palais des congrès, où la conférence a lieu, tente d'assassiner le docteur, outré par les idées qu'il vient d'exprimer. Le plaidoyer de «L'avocat» du diable se présente en trois actes. Dans le prologue, les personnages sont divisés en amoureux du livre et en censeurs. Ces derniers pourchassent les premiers afin de les déposséder de leurs précieux livres. Ce jeu de cache-cache annonce le climat de répression de la liberté et de la pensée, dans lequel Takieddine Mokrizi va donner sa conférence. La deuxième partie commence avec cette conférence qui finit par un drame. L'appareil policier, avec tous ses muscles, se penche sur l'affaire et tout le monde est interrogé. Le penseur se confronte au jeune Abdellatif dans le tribunal. Il lui exprime toute sa frustration de voir une telle rupture et un tel rejet par les jeunes qui «refusent de le comprendre». Quant à Abdelhafidh, il s'acharne à défendre l'indéfendable. Un théâtre proche de la réalité «Tous les deux sont victimes d'un même régime», nous explique encore Riadh Hamdi. L'un par l'injustice sociale, l'autre par la censure, et ils finissent par quitter la vie, l'un par le suicide, et l'autre par une crise cardiaque, survenue dans des circonstances obscures. Avant de partir, ils disent chacun ce qu'il a sur le cœur. Ils ne sont pas les seuls dans cette pièce à être directs dans leur message. La pièce repose en effet sur une multitude de discours : celui de l'association moderniste, celui de la police, celui des médias, celui de Abdelhafidh, de ses parents, et puis le discours de Takieddine Mokrizi. Celui-ci est le plus mis en avant, grâce à des prétextes dramaturgiques comme la conférence et la confrontation avec ses ennemis. Derrière les paroles de ce penseur, Riadh Hamdi croit en le rôle didactique du théâtre. Ce dernier «doit être proche de la réalité et essayer d'exposer les vérités», atteste le metteur en scène qui se réfère à l'expérience théâtrale brechtienne. La mise en scène de « L'avocat du diable » est entre l'abstraction des thèmes et la pléthore des discours. Le fond de la scène est décoré par la Guernica de Picasso, une citation historique à laquelle sont rajoutés des personnages en noir, tenant un livre ou une épée. Riadh Hamdi nous pousse à réfléchir au discours, cSelui qui se renouvelle et celui qui est le même depuis 14 siècles, et qui se dissimule pour mieux se révéler. Dans le rôle du penseur, il désire également attirer l'attention sur sa condition d'enseignant d'arts dramatiques qui a du mal à transmettre à des étudiants aliénés par un système éducatif défaillant. «Pour eux, je dois simplifier mon discours et dire les choses de la manière la plus basique possible», résume-t-il. Tout le monde, en tout cas, peut trouver son compte dans cette pièce qui mérite d'être vue.