Romancier portugais, Alfonso Cruz a de nombreuses cordes à son arc. En effet, dans le droit fil de l'esprit Renaissance, cet écrivain est aussi musicien, cinéaste et dessinateur. Cruz est l'un des nombreux invités de cette édition de la Foire internationale du livre de Tunis et il y apportera ce vendredi 31 mars une vision du monde et un style que ne désavoueraient pas Diogène, Epicure ou les Stoiciens. Un post-moderne et ses interrogations C'est que Cruz est installé au coeur d'une matrice philosophique. Il philosophe la littérature comme Ibn Khaldoun philosophait l'histoire. Il contemple le monde y cherchant des points d'appui qui oscillent entre le banal quotidien et le tragique de nos destins. A l'image d'un Cioran, il cultive cynisme et amertume tout en se dégageant de l'emprise pesante des vies bien huilées et de la standardisation universelle. C'est en cela que Cruz innove: il est philosophe du banal, décrypteur du fugace et du subreptice qui échappent à la lucidité du commun des mortels. Mais en même temps, il est ce citoyen lambda qui pourrait irradier son entourage de l'ironie de brèves de comptoir. Lauréat du prix de littérature de l'Union européenne en 2012, Cruz a publié une quinzaine d'ouvrages. Son oeuvre est traduite dans plusieurs langues dont l'arabe. A 45 ans, cet écrivain est la quintessence de notre époque. Que ce soit son regard sur les êtres et les choses, ou encore la structure de ses textes et récits, Cruz vit de plain-pied dans cette modernité de la vitesse, des ellipses et des décalages de toutes sortes. Ironique, il débusque non pas la beauté ou un idéal platonicien mais les vides et les aberrations. A l'image d'un romantique, il contemple mais en même temps, il déstructure le regard classique. Avec ses propos et digressions, Derrida ou Pessoa ne sont jamais loin. Car Alfonso Cruz pratique allègrement l'intranquillité et la déconstruction. Il faut le lire et rechercher ses références mentales pour vraiment s'imprégner de son univers. Déboussoler, distordre et déconstruire la littérature Post-moderne, Cruz annexe le savoir antérieur mais tout en le malaxant, en le restituant à sa manière. Il lui arrive ainsi, à la manière des Lumières d'écrire des encyclopédies, de théoriser la relation au savoir tout en se distanciant de l'héritage et des postures académiques. Rien que le fait qu'il choisisse plusieurs vecteurs d'expression déroute mais révèle une démarche ouverte, une posture inquiète et une ardeur de la quête. Son parcours, Cruz en parlera à un auditoire qui pourra découvrir l'originalité d'une démarche ainsi qu'un rapport alternatif à la notion même de création. Il est vrai qu'il est peu banal de croiser un auteur pour lequel les frontières sont ténues entre conte folklorique, cinéma d'animation et sophismes de philosophes. C'est bien cette ouverture, au sens stratégique du terme, qui fonde la littérature totale de Cruz, une littérature qui absorbe le réel, s'en inspire pour le déboussoler, le distordre et construire en son sein des mondes virtuels. Avec Alfonso Cruz, la FILT accueille une littérature se faisant et se refaisant sans cesse, une littérature pétillante et affolée, une littérature constamment sur le qui-vive. Bienvenue à Alfonso Cruz qui, ce vendredi 31 mars à 14h (salle Mahmoud Messaadi), échangera impressions et expressions avec ses collègues tunisiens et lèvera un pan de voile sur une démarche qui associe le banal et l'extatique, la passion et la monotonie implacable du temps qui passe.