Avec la parution de ce dernier recueil, Jalal El Mokh atteint le nombre de trente ouvrages littéraires dans les deux langues arabe et française. « La retraite de l'ermite mise en feu » est le titre choisi pour son dernier album de poésie qui vient de paraitre en mars 2017 et qui semble évoquer, à première vue, le point de vue de l'auteur sur la religion chrétienne où il existe des moines vivant en ermite, mais le recueil comprend d'autres sujets d'ordre religieux, moral, intellectuel ou philosophique. Le lecteur du présent recueil découvrira que dans la majorité des poèmes composés les vers ressemblent plutôt à des versets, comme on en trouve dans les livres saints, ce qui nous rappelle aussi la poésie de Paul Claudel ou celle de Charles Péguy, qui ont écrit des versets considérés comme des vers libres sans contrainte définie mais conservant le rythme et la musicalité. D'où le recours de Jalal El Mokh à l'emprunt de certaines tournures du texte coranique ou d'autres textes saints dont le poète s'inspire et qu'il modifie, en conservant souvent la même mesure et le même rythme, en des formules éloquentes, élégantes et pleines de bons sens, que le lecteur peut assimiler aisément. C'est à partir de ses multiples lectures des religions, toutes les religions sans exception, que le poète a reçu cette influence des textes religieux (Coran, Evangile, Thora) voyant la poésie comme un genre littéraire sublime et sacré et la parole poétique comme une action salutaire et dévouée qui vise à éclairer l'homme et le guider vers le chemin de la liberté et du salut au cours de sa vie et dans sa propre société. C'est également par le biais de cette forme de poésie qu'on découvre la vocation universelle de Jalal El Mokh, de par ses multiples allusions aux différentes mythologies anciennes (grecques, romaines, arabes, indiennes) et son discours adressé, non seulement à ses concitoyens, mais également à tous les peuples du monde. Le recueil de 108 pages comprend 15 poèmes assez longs dont « La retraite de l'ermite mise en feu », qui servit également au titre de tout l'ouvrage et qui est inspiré de la chanson de Sabah Fakhri, écrite par Meskin Al Darimi, « Kol Lil Malihati Fil Khimar Al Assouadi, Madhe Faâlti Bi Nasikin Moutaâbbidi » (Dis à cette Beauté au voile noir : qu'as-tu fait d'un moine en dévotion ?), qui relate l'histoire d'une très belle femme qui fit irruption devant un ermite sur le point de faire sa prière, une apparition qui choqua sa raison et bouleversa sa foi. Un autre poème intitulé « Appel à la prière d'El Asr », un jeu de mot où « El Asr » n'a pas le sens religieux, mais plutôt, c'est une allusion à notre « Epoque » où la religion est employée comme un moyen d'atteindre le pouvoir politique et de réaliser des objectifs socio-économiques, faisant fi aux préceptes de la morale. Cependant, le fait que le poète s'inspire des textes religieux et des mythologies anciennes ne l'empêche pas de s'intéresser à la réalité, au vécu quotidien de son peuple et de ses préoccupations actuelles et d'avenir. En effet, plusieurs poèmes renvoient à des questions sociales, morales et politiques dans la société tunisienne contemporaine, notamment celles surgies depuis la Révolution. On peut citer, à titre d'exemples, les poèmes « Manifeste du corps », pièce maitresse de tout le poème où l'auteur dénonce la vision que se font certains individus de la société de la femme qui l'assimilent à un corps pour le désir sexuel, et c'est ainsi qu'elle est soumise, sous-estimée et exploitée, quand bien même la femme serait libre de ce complexe du corps féminin et qu'elle pourrait en disposer à son gré ; « Les poissons de Lampedusa » où le poète fait parler les poissons de cette île italienne, témoins oculaires de l'aventure des immigrés clandestins qui ont tragiquement péri dans la mer et qui ont servi de nourriture à ces mêmes poissons ; ou encore le poème intitulé « La Fête des poèmes mort-nés » où le poète fait hommage, non sans amertume, aux anciens textes qu'il a écrits et qui n'ont pas vu le jour, pour une raison ou une autre.