Dans sa collection intitulée "Tunisia IN side OUT", la photographe allemande Petra Dachter va à la recherche du paysage tunisien et instaure une relativité du regard tiraillé entre ici/ailleurs, dedans/dehors, identité fragmentée/irrésistible altérité. A la confluence de l'inconnu et de l'émotion, elle nous entraîne vers une quête de soi dans le vertige de la "Sehnsucht". Jusqu'au 20 mai au palais Kheireddine... Après trois ans de pérégrinations à travers la Tunisie, Petra Dachtler a réuni dans une collection de photographies la quintessence de ces voyages à la fois géographiques et spirituels. C'est en effet sous le titre "Tunisia IN side OUT" qu'elle expose cette série au palais Kheireddine du 5 au 20 mai pour partager ces impressions d'un pays étranger qui, en tous cs, n'est ni étrange ni exotique au regard de cette photographe. L'artiste post-national au seuil de sa patrie d'adoption Sensible à cette dialectique du dedans et du dehors, Petra Dachtler tente d'abord de se démarquer de la banalité photographique, des clichés qui ont la peau dure et aplatissent le réel, le moulant dans une convention exotique. De fait, à aucun moment, ces photographies ne pêchent par exotisme ou résurgence orientaliste. Elles sont beaucoup plus puissantes ces images car elles parviennent à capturer le jeu subtil qui peut exister entre une âme et un regard, cette relation fugace, créatrice de ce que les Allemands nomment joliment "Sehnsucht" et qu'on peut traduire par "nostalgie" ou désir ardent". Car ce regard désire la Tunisie, de toute son âme... En d'autres termes, l'altérité ne compte plus et devient même l'envers de soi puisque l'on appartient à ce paysage qu'on cherche à photographier. On lui appartient car on l'habite, parce qu'on le sublime par l'art et qu'on cherche à y fondre son individu. Qui est qui dans ce labyrinthe? Dachtler est-elle une photographe allemande posant son regard sur des scènes tunisiennes? Est-elle plutôt une artiste post-nationale au seuil de son pays d'adoption artistique? Et la Tunisie sous son regard ne devient-elle pas un objet vibrant de ces affinités électives, ces "Seelevervandshaften" dont Goethe recherchait l'inextricable? Devant ses photographies, Petra Dachtler nous impose une discipline, aiguise notre propre regard, nous annexe dans ce décalage entre dedans et dehors qu'elle instaure. C'est en effet ce projet artistique qui transforme l'exposition en vaste installation et le visiteur en acteur appelé à son tour à jouer son rôle dans cet échange subreptice entre les images et la psyché de chacun. Que peut voir le regardant tunisien? Se reconnait-il dans ces impressions? Peut-il y déceler ce qui fait différent le regard de Dachtler? Que d'enjeux artistiques et de dialogues silencieux se nouent autour de ces photographies, fragments d'instants choisis ou que le hasard objectif a imposés! Déroutant écart, porteur de ruptures de sens et de lectures ouvertes, le paysage devient à la fois un labyrinthe et un subterfuge, une sorte de dédale des sens où se perd le regard. Au-delà de ce qui est représenté, c'est la métaphore du réel qui est ici le point d'appui de toute une esthétique. Car ce pas de deux entre l'exogène et l'endogène n'est jamais fortuit; au contraire, il s'inscrit dans chaque regard et chaque structure singulière et nous met à l'épreuve de l'autre, ce qu'il voit, ce qu'il ressent, ce qu'il perçoit et ce qu'il ne voit pas ou absorbe différemment. Un ici/ailleurs qui sépare et réunit simultanément Pour pousser la métaphore, on peut aussi considérer que toute réalité est voilée, que chaque regard est un alliage instantané composé de ce qu'on voit et des référents que l'on porte. Un peu à l'image des prisonniers de la caverne de Platon, nous ne voyons que des bribes de réel, des reflets d'âmes vagabondes car la réalité n'est jamais une et nous échappe toujours. Comme on ne se baigne jamais deux fois dans un même fleuve, nos regards sont en mutation permanente, pétris par nos apprentissages, notre vécu. Et c'est bien en cela que ces photographies de Petra Dachtler trouvent leur sens. Elles sont l'objet de notre regard et changent de significations et de textures en fonction de qui regarde. Parfaite mise en abyme qui nous enveloppe de kyrielles de sens et nous convainc que peu importe le photographe, peu importe sa nationalité, la réalité est toujours fluctuante. Dachtler nous introduit dans ces distorsions de sens mais n'omet pas de nous laisser rêveur face à la beauté plastique qui se dégage de chaque image. Et là encore, on se prend à penser à ce qui est beau, ce qui ne l'est pas et au regard de qui? A ce miroir impromptu, ce sont mes propres images d'Allemagne qui ont commencé à resurgir, mes propres impressions d'étranger devant la majesté de la Porta Westphalica, la placidité de la Brandeburg Tor ou les milles bruissements de la Teutoburgerwald. Et c'est au fond grâce à ce miroir inattendu et imprécis que flotte l'indécision du voyageur qui a soudain l'impression de reconnaître ce qu'il ne connaissait pas. C'est ainsi que l'on peut admirer les photographies de Dachtler qui expriment toutes l'émotion qui peut naître lorsqu'on découvre un ici/ailleurs plein d'affinités, un territoire qui sépare et réunit simultanément.