Le discours du président de la République du 13 août 2017, lors de la célébration de la fête de la femme et l'adoption du Code du statut personnel ce même jour de 1956, continue à susciter les réactions les plus diverses. Ça va de l'enthousiasmé « pour » au rejet tout aussi ferme, pour contradiction avec la lettre du texte coranique sur l'héritage. Il y a aussi beaucoup de positions mitigées et d'attente, ce qui est une tradition de la « sagesse » et de la culture spécifique tunisienne jamais pressée de trancher dans le vif, avant de savoir, où vont les vents conflictuels mais aussi consensuels ! De part et d'autres, les intérêts sont évidents. Le parti islamiste Ennahdha emmené par l'aile réformiste de Rached Ghannouchi et ses états-majors, dont Ali Laârayedh, Rafik Abdessalem, Lotfi Zitoune, Noureddine B'hiri, Abdelfettah Mourou, Zied Laâdhari et autres Imed Hammami et Ajmi Lourimi, veut éviter le piège d'une nouvelle bavure qui consisterait à refuser une mesure historiquement progressiste et de justice universelle, alors qu'il ne cesse de rassurer et de déclarer que le parti a dépassé le cap de l'islamisme politique pour enfourcher le cheval « civil » démocratique et libéral. Il est soucieux, aussi, de conserver le contrôle de ses bases surchauffées par les « faucons » traditionnels dont Abdellatif El Mekki, Mohamed Ben Salem et même Jelassi, un des anciens patrons de la Choura, remplacé par un « faucon » reconverti au réformisme de Ghannouchi, le « sieur » Harouni. Par conséquent, et pour une fois, la manœuvre vient cette fois-ci de BCE qui, d'une pierre deux coup, paye une dette au million de femmes libres de Tunisie « Hraïer Tounès » qui l'ont porté brillamment à la magistrature suprême fin 2014, justement en faisant un contre-poid historique à la campagne haineuse de l'appareil islamiste en faveur de son adversaire Moncef Marzouki. De l'autre côté, BCE met une pression énorme avec valeur de « test » sur les islamistes nahdhaouis. Allons-nous vivre la traditionnelle tactique d'Ennahdha avec un discours de façade en soutien à la proposition de l'égalité de l'héritage entre hommes et femmes, du président de la République et un autre discours destiné aux bases pour leur expliquer que le pouvoir et la reprise des citadelles de Carthage et de la Kasbah vaut bien une (messe)-concession, sur la lettre du texte coranique, en favorisant l'esprit des lois, qui sont ouvertes au changement dès que le rapport de forces le permet ?! Tout est possible ! Pour le moment, BCE s'est remis en selle en s'acquittant de sa dette envers « Hraïer Tounès » mais aussi en reprenant l'initiative de la nécessité de rétablir un équilibre politique précaire, que le fameux « tawafuk » ou consensus, a largement fossé en donnant des armes insoupçonnées à Ennahdha pour aspirer activement à nouveau, au commandement politique. Tout le monde, en effet, impute la crise en profondeur de Nida Tounès à ce « tawafuk » mené de main de maître par le stratège Ghannouchi, qui a réussi à démembrer le parti Néo-bourguibien de BCE, en jouant sur les ambitions contradictoires des têtes de file nidaïstes. Nida Tounès donne l'impression d'une formation « éclatée » au niveau du leadership bien que fondamentalement solide au niveau idéologique et de la mobilisation parce que justement c'est le seul parti encore crédible dans les sondages pour contrer Ennahdha et limiter ses appétits hégémonistes et de contrôle totalitaire de la société, en cas de nouvelle victoire comme celle de 2012 ! En conclusion, BCE a réussi jusque-là son coup. Il réveille de leur torpeur les Nidaïstes et les Bourguibiens en redonnant espoir aux femmes libres de Tunisie, pour reprendre l'ascendant et la lutte contre l'obscurantisme des idéologies obscurantistes, après une certaine déception et démobilisation des années 2015-2016. Mais, le plus gros reste à faire, à savoir comment « affaiblir » Ennahdha de façon à ce qu'elle soit poussée à la réforme et au compromis consensuel. Je le répète sans cesse que le parti islamiste ne composera que lorsqu'il sera en position de faiblesse, à l'extérieur comme à l'intérieur de la Tunisie. BCE a la chance de voir une évolution plutôt défavorable de l'environnement international, à l'islamisme politique et les partis d'obédience originelle « frères musulmans ». Mais, sur le plan interne, son front est affaibli et c'est encore à lui de trouver la sortie de crise et la remise à niveau du courant élargi de « Nida Tounès ». Attention, de ce côté-là, le « pourrissement » est à double tranchant. Il peut servir.... comme il peut aussi faillir et balancer le pays vers l'inconnu ! K.G