Il fallait oser une exposition sur les arts de la table et les plaisirs du palais. L'artiste russo-tunisienne Olga Malakhova l'a fait de belle manière avec la complicité du fin gourmet Omar Lasram. Un véritable éloge des nourritures terrestres. Le terme "kiffolies" est bien évidemment un néologisme. Construit à partir des mots "kif" et "folies", il suggère la joie débridée et le plaisir passionné et se conjugue à tous les temps du verbe "kiffer". Ce mot si vibrant est d'ailleurs celui d'un restaurant parisien, une table "tune" qui se trouve au cœur de Belleville. On y déguste les spécialités traditionnelles et aussi une délicieuse "kemia". Une pincée d'humour et d'espièglerie Cet autre terme, bien de chez nous, s'il court les tables, ne figure dans aucun dictionnaire. Et pourtant, c'est le cousin bien tunisien des tapas espagnols ou des mezzé libanais pour ne citer qu'eux. C'est à l'enseigne "Kemiahood", un autre néologisme, que l'artiste Olga Malakhova a créé une collection d'œuvres qui fait la part belle à la collation apéritive toujours bienvenue sur nos tables. La collection est à l'image des travaux de Malakhova : toute en espièglerie, avec une pincée d'humour et aussi un talent inné pour sublimer les petites choses de la vie. Une vingtaine de tableaux représentent les détails d'un rituel auquel sacrifient beaucoup d'entre nous, avec filets d'huile et zestes de citron confit. À vrai dire, ce ne sont pas des natures mortes que peint Malakhova mais des éclats de vie capturés avec la saveur des olives, le craquant des amandes salées ou les effluves incomparables de la boutargue. Non gourmets s'abstenir aurait pu ajouter l'artiste tant elle va au fond du partage des commensaux et de la joie qui rassemble les convives. Dans le style qui lui est propre, l'artiste jongle avec les textures et les couleurs, elle met en mouvement tout un art de la table qui est à la fois profusion et variété. Des œufs cuits prennent une tout autre dimension, une feuille d'artichaut ou les motifs d'une assiette se chargent d'émotion esthétique. Bref, les papilles frémissent alors que l'artiste peintre s'en donne à coeur joie. Avec des oeuvres de petit format, c'est tout un lexique culinaire qui est décliné sous nos yeux et papilles. "Kemiahood" est de plus une collection authentiquement tunisienne et profondément méditerranéenne qui évolue entre terroirs et nostalgies. Une célébration des arts et des saveurs Pour pareille collection, il fallait un écrin de circonstance et pas n'importe lequel. Et c'est là tout l'apport de monsieur Cacciola alias Omar Lasram. Photographe et ami des arts, ce gourmet qui officie au Kram, a ouvert son épicerie artisanale tunisienne à la collection de Malakhova. Le résultat est saisissant avec des peintures qui cohabitent avec du miel, du safran ou encore des "bnadeq" ou du "zrir". La fusion entre les mondes de l'artiste et du gourmet est remarquable au point où l'on pourrait évoquer une épicerie artistique ou bien une galerie gourmande. De fait, la collection ne pouvait rêver meilleure configuration. L'élan que donne la Cacciola aux oeuvres est simplement palpable, palpitant de parfums et de textures, convoquant les cinq sens et célébrant la culture de la saveur. Mieux, les organisateurs de l'exposition ont choisi d'amplifier leur démarche en offrant de savoureuses kemias aux visiteurs. Chaque jeudi, Olga Malakhova et Omar Lasram recevront les amis des arts pour mettre tableaux et produits en interaction en créant à leur tour des assortiments inédits. Cette fusion artistique se déroulera selon le rituel de la kemia tunisienne et permettra d'associer à chaque fois des mets différents, préparés sur le pouce et inspirés des tableaux. L'initiative est prometteuse et surtout des plus originales. Elle est à découvrir à la Cacciola pour plusieurs semaines pour pouvoir pleinement sacrifier aux "kiffolies" d'un duo qui conjugue les arts culinaires et plastiques. Une exposition qui tourne résolument le dos à la morosité pour ouvrir grandes les fenêtres au goût et à la joie. H.B