A deux mois des élections présidentielle et législatives, la chose publique revient au goût du jour. Les opinions foisonnent et les débats, supposés être contradictoires, se meuvent résolument sur le terrain du politique avec l'inévitable cortège de confusions, de personnification et d'extrapolation... Très longtemps, la société bien-pensante a vécu sur un roman des origines : Le Parti. Et quand on dit et écrit « Parti » (Al Hizb), avec un grand « P », c'est pour ne pas y toucher. Déterminisme psychologique qu'a induit l'ancrage dans la vie des Tunisiens du plus ancien parti d'Afrique et du monde arabe. Et, durant des décennies, les générations ont été psychologiquement façonnées en fonction de l'inter-pénétration Parti/Etat ou Etat/Parti. De son côté, celui qui portait encore le nom de PSD, (seul sur la place et fort de sa légitimité historique), cessait d'être un parti de masse pour s'ériger en parti de cadres une espèce de bulle inaccessible, insondable qui coupait les ponts avec l'université et se vautrait dans la bureaucratie frileuse, sinon dans l'adversité avec l'UGTT contre-poids iconoclastes et qui plaçait le pays dans une ère de hautes turbulences.
Renaissance En 1987, tel le phénix, le RCD renaissait de ses cendres. Il chassait les milices, les bureaucrates, les forces de rétention et recouvrait sa vocation populaire. Et dans la vision futuriste de Ben Ali, fondateur et président de ce qui s'appelait, désormais, RCD, c'est à partir de là, justement, que devait prendre forme une vie politique nouvelle avec pour corollaire le pluralisme démocratique. En l'occurrence, le RCD cessait-il d'être le PARTI, mais recouvrait, bel et bien, sa vocation de parti de masse en amplifiant son réseautage et en mettant en place des structures de formation. Et aussi paradoxal, aussi singulier que cela puisse paraître, le RCD ne se revendique d'aucune idéologie, si ce n'est servir les masses, dans une politique de proximité. Il y a, en fait, des textes ; un Code électoral, plusieurs fois amendé pour stimuler le pluralisme ; quelque part, il y a la touche du RCD, parti majoritaire au Parlement, mais il n'est pas dans une logique de guerre idéologique contre l'opposition et, d'ailleurs, il s'y refuse.
«Attitudes négatives» Dans un récent meeting, Mohamed Ghariani, Secrétaire général du RCD, a déploré, (nous citons), « l'attitude négative de certains partis de l'opposition, attitude qui, selon lui, ne favorise pas l'éclosion de la démocratie, ni ne stimule les fondamentaux d'une société civile, saine et forte. « Le RCD, disait-il, constate que les problèmes potentiels pour la société civile ne peuvent provenir que des attitudes extrémistes. Mais, le RCD, sans pour autant hypothéquer la vie associative, a le devoir d'être dans son rôle : un mouvement politique. La locomotive du développement, dans un pays qui construit patiemment sa démocratie, qui encadre sa jeunesse et qui ne cesse de promouvoir le statut de la femme ».
«Le bon sens commun» Quelque chose de fondamental, d'essentiel est en train d'agir sur les mentalités. Les vieux clichés ont fait leur temps. Et de fait, le RCD, loin de tout nombrilisme, se refuse d'incarner « LE POUVOIR », comme veulent l'accréditer certains partis de l'opposition. Dans un meeting, encore, Ghariani répond indirectement aux tribuns idéologiques : « Le parti qui est au pouvoir est tenu d'assurer des compétences pour l'Etat mais loin des courants idéologiques. En fait, le RCD fait fructifier le bon sens commun des Tunisiens. Et le fait que le Président du parti soit le Président de la République, le RCD est tenu d'appliquer le programme présidentiel ». Qu'entendre, en fait, par « bon sens, commun des Tunisiens » ? La vérité est que notre peuple ne souffre guère de conflits ethniques et a su refuser toute forme de partis religieux. L'identité nationale est une et indivisible et il s'agissait simplement d'exhumer les valeurs fondamentales, que cherchent à éclabousser les connexions gaucho-intégristes. Quel programme de développement pour le pays, peuvent se targuer de proposer aux Tunisiens ceux qui s'identifient à l'extrême-gauche ou ceux qui ont fait allégeance et dévotion aux Tartuffes religieux, subversifs candidats à la sainteté ? Il est évident qu'une opposition à la vue obscurantiste se compromet dans des alliances entre diables. Une connexion pockt-intégriste : deux extrêmes qui pactisent. Un cocktail explosif.
«Régime absolutiste» ? Ce sont ces mêmes esprits chagrins, à l'intérieur comme à l'extérieur, qui parlent de « régime absolutiste ». Formule surannée, en fait. Galvaudée même. Le Secrétaire général du RCD y répond dans un meeting à Bizerte. « Dites-moi si un régime avec un tissu associatif aussi dense qui compte une Ligue Tunisienne des droits de l'Homme, un syndicat fort, une UGET bien ancrée dans les réalités estudiantines et un syndicat des journalistes et qui règlent presque tous leurs magmas internes en toute indépendance, dites-moi si ce « régime est absolutiste », comme le disent les théoriciens d'une opposition qui prend son rôle au pied de la lettre ! ». Nous sommes, donc, inévitablement, sur le terrain des Droits de l'Homme, dans leur acceptation universelle et la plus large. Le fossé entre le Pouvoir et donc l'Etat et le RCD et la frange radicaliste de l'opposition (y compris les courants, non légaux) consiste en la perception de cette donne. Ben Ali base toute son action de développement sur la stabilité, sur les Droits de l'Homme économiques (emploi, sécurité alimentaire, logement....) et pas essentiellement sur les droits politiques, importants, eux aussi. Or, « on ne peut pas avoir de confort politique si la plate-forme d'un minimum de confort matériel n'est pas assuré », comme l'a encore déclaré Ghariani. Et c'est là qu'intervient aussi le RCD : endiguer l'overdose politique, sans vraiment s'immiscer dans les affaires de l'Etat. Que faire pour contenter les tribuns récupérateurs : libérer des dizaines de partis politiques comme en Algérie avec Ben Jedid ? Il est, donc, du droit et du devoir de Ben Ali de protéger la vie politique et la vie publique. Sinon, le RCD continue son bonhomme de chemin. Les dernières consignes confiées au Secrétaire général par le Président Ben Ali consistent à réactiver les débats, les forums, à se mettre au diapason des nouvelles technologies à stimuler encore davantage l'action des cellules à travers toute la République. Aujourd'hui, Mohamed Ghariani s'enorgueillit que le RCD compte des cybermilitants pour contrer les agressions contre notre pays par voie d'Internet. Les espaces ouverts, toujours sur instruction présidentielle, sont aménagés pour que les jeunes viennent s'y exprimer et critiquer, perçant, ainsi, tous les tabous. Le RCD passe, donc, au palier supérieur sur le plan structurel. Tactique pour damer le pion au radicalisme de certains partis ? Ce serait de bonne guerre. Si, en définitive, le RCD est le parti au pouvoir, c'est parce que les élections pluralistes en ont décidé ainsi. Mine de rien, on lui reproche une stature consacrée par le suffrage. Entend-on dire que l'UMP de Sarkozy est le parti au Pouvoir en France, ou que le Parti Démocrate est le parti au pouvoir aux Etats-Unis. Non. Car, ce ne sont toujours que des mouvements politiques, comme le RCD, justement. La vie politique, partout où émerge une société civile saine, reste une référence. En cette ère de dépérissement des idéologies, de fin des blocs, de mondialisation, de résurgence des nationalismes les partis qui croient tirer la justification à leur existence des gradations doctrinales versent dans les outrances. La Tunisie ne peut pas se permettre de sacrifier une prodigieuse dynamique de développement au confort des gradations doctrinales d'apparence stériles, mais au fond, dangereuses.