Soumettre, lors des grands examens ou concours, les copies des élèves et des étudiants à la double, voire à la triple correction vise en principe à rapprocher le plus possible de l'objectivité et de l'équité la note définitive attribuée à chaque candidat. Pour que cette pratique soit effective, les organisateurs des épreuves recourent à divers procédés de contrôle dont la copie corrigée garde parfois les traces. Au supérieur, la double correction est systématiquement adoptée dans les examens partiels ou finaux et l'on souhaite aujourd'hui que même dans les épreuves du contrôle continu introduites avec le régime du LMD (Licence-mastère-doctorat), les professeurs s'y conforment également. Dans plusieurs départements, on encourage et l'on impose aussi les devoirs en commun et la correction des copies par deux professeurs de la matière. Prendre ces précautions à propos d'épreuves de contrôle ordinaires relève-t-il vraiment d'un souci d'équité ? N'est-ce pas un excès de zèle que rien ne justifie ? D'autre part, si toute épreuve est soumise au double contrôle, n'est-on pas en droit de penser à une quelconque suspicion de la part des administrations à l'égard des professeurs correcteurs ? Depuis quelque temps déjà, les étudiants émettent de plus en plus de réserves, souvent injustifiées, sur les notes qu'ils obtiennent. Avec la systématisation de la double correction, ne risque-t-on pas d'affaiblir encore le peu de crédit qui restait aux enseignants auprès de leurs disciples ? De la sorte, on n'est plus loin des appréhensions émises par les supporters sportifs sur les prestations des arbitres de football. Pour un peu, on crierait à la partialité des correcteurs universitaires, si ce n'est déjà fait. En effet, un ancien directeur de département se rappelle comment une étudiante venue vérifier ses notes d'examen avait accusé ses professeurs de recevoir des pots de vins en contrepartie de certaines largesses au profit de tel ou telle de ses camarades de classe !
Opération impossible ! En tout cas, il reste encore difficile à l'Université, de vérifier si la double correction a eu ou non lieu. A une certaine époque, on procédait à l'échange des copies dans le bureau même du directeur de département et sous son contrôle. Mais l'opération est aujourd'hui confiée à des fonctionnaires de l'établissement qui n'ont aucun droit de regard sur le travail des professeurs. Ces agents veillent en fait au bon dispatching des copies et à réceptionner celles-ci à la fin des délais de correction. L'essentiel se passe donc en dehors des murs de l'Université et il reste toujours à prouver que la double correction a eu vraiment lieu entre les deux professeurs qui en sont chargés. D'ailleurs, il arrive, dans certains cas, que l'échange des copies soit difficile et coûteux en raison du déplacement qu'il impose à l'un des correcteurs pour rencontrer son collègue. Quand le premier correcteur est de Médenine, que le deuxième est Tunisois, et qu'ils travaillent tous deux dans une faculté de Sfax, comment s'assurer que les copies ont été évaluées selon les normes requises ? Parfois, l'inadéquation est autre que spatiale entre les enseignants correcteurs : leurs emplois du temps peuvent en effet ne pas concorder et donc imposer là aussi certains sacrifices à l'un des deux. Dans d'autres situations, l'établissement ne compte qu'un seul enseignant dans la matière à corriger et il lui est difficile d'accepter qu'un non spécialiste évalue avec lui les connaissances de ses étudiants. En tenant compte de ces différentes sortes d'obstacles, la plupart du temps on s'arrange pour que la correction ne se fasse qu'unilatéralement, mais on prendra soin à la remise des notes de cosigner chacune des copies.
Contrôle trop continu ! Mais ce que certains ignorent c'est que la double correction n'est pas une stricte obligation à l'université. Elle est seulement souhaitable et dans la mesure du possible. Avec la multiplication et la décentralisation des nouvelles universités et des nouveaux établissements du Supérieur, avec le nombre limité de professeurs dans certains enseignements, la règle de la double correction est de plus en plus difficile à appliquer. Le nouveau régime du LMD devait en principe réhabiliter le contrôle continu au Supérieur et laisser plus de temps aux professeurs pour avancer dans leurs programmes respectifs. Or, en imposant les devoirs en commun, la double correction, la remise de corrigés aux étudiants, la vérification des notes par ces derniers et un décompte des moyennes très pointilleux, quelle marge reste-t-il aux leçons ? De plus, en tenant compte du règlement qui impose trois devoirs surveillés par semestre, et en considérant les divers congés et vacances accordés pendant cette même période, on voit mal comment les professeurs pourront concilier entre enseignement et évaluation. Si aujourd'hui, l'adoption du LMD est irréversible, pourquoi rester nostalgiques des vieilles méthodes d'évaluation ? Pourquoi alourdir les universitaires de tâches ingrates qui leur font perdre à eux et à leurs disciples beaucoup de temps et d'énergie sans qu'en retour cela ne profite réellement aux uns ou aux autres ? On recommande par exemple de programmer les devoirs en commun en dehors des heures de cours : a-t-on dans tous les établissements assez d'amphithéâtres et de grandes salles susceptibles d'accueillir la masse d'étudiants convoqués aux épreuves ? Est-il facile pour seulement deux ou trois professeurs de surveiller 300 ou 400 étudiants de plus en plus tentés par les pratiques frauduleuses ? Les devoirs en commun tenus dans de telles conditions ne favorisent-ils pas le copiage en masse ? Si l'on mobilise davantage de professeurs surveillants, cela doit forcément se faire au détriment du temps libre de certains d'entre eux. Or, qui paiera ces heures de surveillance n'entrant pas dans leur emploi du temps ? Dans l'ancien régime, les professeurs surveillaient aux examens et corrigeaient les épreuves, mais sans donner de cours parallèlement. Là, on attend en même temps d'eux qu'ils assurent les leçons, surveillent les épreuves et les corrigent doublement ! C'est peut-être trop leur demander !