Dans « Madame Kenza », Wajiha Jendoubi, truculente, raconte l'histoire de ce patient, venu d'un pays voisin pour se faire opérer, et qui depuis est traversé par des spasmes très violents à intervalles réguliers, sans soupçonner le moins du monde que le chirurgien avait oublié son portable à l'intérieur de son estomac. Du coup, sa famille croyant qu'il était habité par un « Djin », décida de faire le nécessaire pour le soigner. Entendre par cela la tournée des « guérisseurs » et des « Marabouts » de la ville. Rien n'y fit : les spasmes étaient toujours-là. Et ressemblaient étrangement à la sonnerie d'un portable, de surcroît mis sur vibreur. Jusqu'au jour où le miracle eût lieu... dans un Lieu saint bien déterminé. Et Wajiha de préciser : « là-bas il n'y avait pas de réseau ». La boutade vaut ce qu'elle vaut, toujours est-il qu'elle en dit long sur certaines pratiques culturelles, ou plutôt certaines croyances, viscéralement ancrées dans nos mœurs, toutes proportions gardées cela va de soi, sur la puissance dévolue aux « esprits occultes » pour aider les humains que nous sommes à guérir des maux d'ici-bas. Car c'est un fait, indéniable, sous nos latitudes, et pas que sous nos seules latitudes d'ailleurs : le recours aux médecines parallèles, est plus répandu qu'on ne le croit, et nos vieilles recettes de grand-mère ont toujours de beaux jours devant elles, puisqu'il y aurait comme un retour en force à la médication par les plantes et aux thérapies traditionnelles intra-muros, sans qu'il soit possible d'en déterminer exactement les véritables causes. Mais la question se pose visiblement, et avec de plus en plus d'acuité, car la frontière est devenue poreuse entre le recours aux thérapies traditionnelles, à base de plantes par exemple pour soigner certains maux bénins, et un charlatanisme dévastateur qu'il convient vraiment de prendre au sérieux, suite à moult dérapages, histoire de remettre les pendules à l'heure et séparer le bon grain de l'ivraie. C'est justement le thème choisi par la XIIIème Conférence annuelle du Comité National d'Ethique Médicale, qui va se tenir le vendredi 4 décembre courant à la Faculté de Médecine de Sousse, sous l'intitulé : « Les pratiques parallèles de soins : aspects sociologiques et éthiques ». Réunissant un bon nombre de spécialistes et de praticiens, qui se pencheront sur le sujet, la rencontre sera l'occasion d'examiner, à l'aune des différentes interventions, ce qui fait lien entre la médecine moderne et les pratiques traditionnelles à caractère médicinal. Les docteurs Mohamed Salah Ben Ammar et Mohamed Moncef Boulakbèche dresseront l'état des lieux des pratiques parallèles de soins, les docteurs Slim Ben Ahmed et Olfa Gharbi, celle des pratiques alternatives en carcinologie sur la base des résultats d'une enquête ; Dr Kamel Boukef parlera de l'usage traditionnel des plantes en Tunisie, Dr Ridha Abdelmouleh axera son intervention sur les guérisseurs : de l'exclusion à la tolérance : étude sociologique d'une profession marginale, Dr Riadh Ben Rejeb évoquera l'approche psychologique des thérapies traditionnelles, Dr Sallouha Innoubli celle des Zaouia : pratiques rituelles et dimensions culturelles, Dr Zouhair El Hechmi décortiquera le regard magique dans la relation soignant- soigné, tandis que par ailleurs, et traitant des aspects philosophiques, éthiques et déontologiques, Dr Noureddine Ennaifer expliquera les exigences éthiques et pratiques parallèles de soins, Dr Mohamed Fathi Derouiche reviendra sur les aspects déontologiques de la question, tandis que pour finir, Dr Majed Zemni parlera des soins parallèles et exercice illégal de la médecine. Une manière de rappeler que le problème se pose en effet, est dont il convient d'examiner les tenants et les aboutissants, dans une époque où dérives et dépassements auront conduit, toutes latitudes confondues, à prendre en compte la gravité de la situation, quand on sait que des malades, souffrant de pathologies très sérieuses, préfèrent confier les rênes de leur existence, déjà menacée, à des charlatans, lesquels leur prescriront, sans aucun scrupule et sans états d'âmes, des médications, ou des recettes- miracles -dans le meilleur des cas des placébos-, censées les guérir définitivement. De n'importe quelle méchante maladie. Le problème c'est que les patients, lassés de subir un traitement médical qui ne leur paraît pas porteur, par désespoir, par ignorance, ou par démission, marchent dans le coup, et résultat au bout du compte, se laissent dépérir faute de soins. Il faut avouer aussi que certains scandales qui ont entaché la médecine ou l'industrie pharmaceutique dans le monde aujourd'hui, à propos des dividendes énormes amassés sur le dos des consommateurs, concernant des traitements bidons, induisant des effets secondaires parfois extrêmement dangereux pour la santé, expliqueraient peut-être cette méfiance, de plus en plus accrue à l'encontre de cette industrie-là. A tort, ou à raison. Les lobbyings constitués en ce sens ayant bien souvent pouvoir de persuasion sur les pouvoirs publics, pour taire les scandales, ou les étouffer dans l'œuf. Mais cela c'est une autre paire de manches...