Pari gagné pour la 11ème session du Festival du Poulpe. Centré sur le céphalopode marin, emblématique de l'archipel kerkenien, particulièrement dans sa dimension gastronomique, la session a quasiment tenu toutes ses promesses. Le temps connu pour ses soubresauts, en ce mois de décembre, a lui aussi voté pour la manifestation par sa clémence complice. Grâce à la douceur de la météo, le Festival s'est donc déroulé dans un climat propice de sérénité, à commencer par les traversées maritimes, placées, au départ, sous la menace d'une imprévisible et forte perturbation atmosphérique. En effet, par le passé, le risque toujours latent d'une tempête en hiver avait fait hésiter les organisateurs à programmer la session aux mois de novembre ou de décembre, périodes qui coïncident pourtant avec la campagne de la pêche du poulpe. Ils préféraient le mois de mars. Or, en l'absence de poulpe, un vide gênant se faisait sentir lors des fêtes printanières, et on avait une impression de célébrer un mariage sans la présence du marié. C'est ce qui faisait que les sessions du mois de mars, en dépit de leur réussite populaire incontestable, donnaient l'impression d'être des fêtes par procuration.
Un don céleste C'est pour toutes ces raisons, que l'on peut dire que le Festival s'est bien racheté lors de sa 11ème session, organisée du 24 au 29 décembre courant. Le poulpe a été en effet célébré à deux reprises. La première était consacrée au concours du meilleur plat à base de poulpe, dont l'organisation a été confiée à Olfa Zidi Mehrez, trésorier adjoint du festival. Le jury avait la tâche ardue, de départager vingt concurrentes au mérite égal, avec quand même des variations dans les recettes, une touche personnelle et quasiment esthétique qui rehaussait la présentation, et une nuance de saveur due à la réussite inexplicable du dosage des ingrédients et des épices, le produit d'une mystérieuse et inexplicable alchimie est attribué à un don céleste dont seules les bonnes cuisinières sont pourvues. Ce qui n'empêche pas pourtant, M. Hédi Ben Ismaïl, président du festival, de trouver une explication rationnelle à ce phénomène : " En gastronomie, les ménagères kerkéniennes ont forgé leur talent de cuisinière au fil du temps parce qu'elles étaient moralement tenues de réussir leurs plats pour faire plaisir à leurs marins d'époux qui avaient besoin de cuisine savoureuse pour compenser la frugalité de la nourriture consommées lors des longues sorties en mer. A force d'application et de soins, elles ont fini par gagner leurs galons et leur titre de cordons-bleus. " De toutes les façons, acquise ou innée, la réussite des plats en compétition était l'unique critère pour départager les plats en compétition et on imagine bien l'embarras des membres du jury, tellement les plats étaient des chefs-d'œuvre gustatifs et même plastiques. " Finalement, le jury est tombé d'accord sur trois heureuses lauréates , à savoir Badiaâ Mekki, Samia Imen Chiboub et Mabrouka Saïda, ce qui n'ôte nullement le mérite aux autres concurrentes qui ont reçu, elles aussi des prix symboliques pour les encourager ", nous a annoncé, M. Naceur Ben Abdallah, secrétaire général du Festival.
Un délice pour les yeux et le palais L'après-midi du samedi 26 décembre, fut consacrée à une célébration plus populaire du poulpe. On a eu droit à une ambiance de kermesse sur fond d'animation sonore, des shows forains, des spectacles donnés par une troupe folklorique locale, un cracheur de feu, un danseur saltimbanque avec sa tour de gargoulettes, la fanfare et les déclamations de poésies populaires. C'est dans cette ambiance joviale et bon enfant que le public a été convié à une collation composée de soupe d'orge au poulpe, de pain garni de pulpe d'olives (pain au grignon) et d'une brochette de chair de poulpe. Les organisateurs n'ont pas lésiné sur les dépenses, 500 kg de poissons, ayant été servis aux milliers de festivaliers qui ont fait preuve d'une bonne discipline, une discipline favorisée sans doute par l'abondance de la nourriture mais également par le nombre de serveurs mobilisés qui se faisaient remarquer tant par leur amabilité que par l'élégance de leur tenue immaculée.
Il y a lieu de relever aussi la propreté des lieux et des ustensiles dans le restaurant installé sous des tentes, dans l'artère principale de Ramla, avec sa série de barbecues sur lesquels les brochettes se faisaient griller dans un nuage de fumées odorantes. La prédominance de l'aspect gastronomique n'a quand même pas occulté les dimensions scientifique ni économique du festival. Outre les conférences centrées sur le poulpe et les séances d'astronomie organisées en faveur des enfants, une exposition s'est tenue dans les locaux de la bibliothèque locale.
L'exposition est dédiée principalement à l'artisanat local, un secteur où la prédominance féminine est manifeste, tout comme dans l'agriculture, la pêche étant une occupation presque exclusivement masculine. Travail de l'alfa, confection d'habits traditionnels, haute couture d'inspiration patrimoniale, objets d'art et de décoration, poteries, coquillages à l'état brut ou habilement utilisés pour figurer des formes et des tableaux pittoresques, autant d'articles qui témoignent du savoir-faire accompli et de l'aptitude de la femme insulaire à créer et à innover tout en étant attachée à ses repères patrimoniaux.