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Défaire les clôtures de la pensée
Grands entretiens - Avec Edgar Morin (4)
Publié dans Le Temps le 20 - 04 - 2010

« Il faut un renouvellement de la sociologie, il faut incontestablement l'ouvrir sur d'autres dimensions de la vie humaine et sociale. C'est pour ça que je suis irrité quand on me donne l'étiquette de sociologue, souvent même j'ai dit que j'étais anti-sociologue ! »
Revenons à votre oeuvre. Vous avez travaillé, entre autres, sur le cinéma, la rumeur et la mort. Le point d'ancrage entre ces différentes thématiques est la relation entre le réel et les mythes, le réel et l'imaginaire. Cependant, la question de la complexité n'est ni formulée, ni conçue dans vos écrits d'avant 1970. Quel événement particulier vous a-t-il conduit à la proposer ? Est-ce mai 1968, que vous considérez comme nouveau commencement pour votre pensée ?
Mai 1968 est un événement que j'ai beaucoup aimé pour son jaillissement, son caractère fraternitaire au début, mais il m'est apparu, non pas comme le commencement d'une nouvelle révolution, mais comme la préfiguration de quelque chose de possible, un élément parmi d'autres du remue-ménage mental à ce moment. J'ai écrit peu après Journal de Californie, qui montre combien j'ai été nourri par cette sorte de révolution culturelle californienne et, de l'autre côté, par les connaissances que j'ai acquises dans diverses sciences.
Vous le disiez vous-même pour le cinéma. Quand on traite du cinéma, on ne peut pas dire qu'il y a, d'un côté, l'imaginaire et, de l'autre, le réel. Il y a une sorte de dialectique, de dialogique permanente entre le réel et l'imaginaire…
Bien des choses m'ont stimulé mais je crois que le travail principal a été lancé et a démarré en Californie. Quand je suis arrivé à Paris, avec la bénédiction des prix Nobel comme François Jacob et Jacques Monod ou celle de l'inventeur du vaccin contre la poliomyélite, Jonas Salk, j'ai pu fonder le Centre Royaumont pour la science de l'homme, qui a fonctionné quelques années. J'ai pu vivre, pendant trois ans, dans un bouillon de culture que j'ai créé moi-même et qui m'a inspiré tous les éléments pour faire un livre : Le paradigme perdu. Les thèmes du colloque L'Unité de l'homme m'ont mis sur une nouvelle voie, celle de La méthode. J'étais mûr pour pouvoir dire : voilà comment je dois penser et comment il faudrait penser, en échappant au dogmatisme. J'ai compris qu'il y avait trois points fondamentaux dont l'association constitue le défi de la complexité.
Le premier élément de la complexité, c'est restituer la relation. Contrairement à la pensée traditionnelle, qui tend à découper le réel en disciplines, à l'image des tranches de saucisson, j'ai compris qu'il fallait savoir relier et pas seulement séparer.
Le deuxième élément de la complexité est la résurrection de l'incertitude, à commencer par le domaine où la certitude régnait sans partage, celui du déterminisme des sciences physiques. Si adviennent dans le cosmos accidents ou catastrophes, il faudrait se garder de réduire l'histoire humaine à une machine qui poursuit une course solitaire vers le progrès, car elle est également soumise aux risques des accidents et des catastrophes. Ce qui est stupéfiant, c'est que, pendant des dizaines d'années, les historiens se soient aveuglés sur le cours et le sens donnés à l'histoire.
Le troisième élément de la complexité affronte la logique classique, qui prétendait, elle aussi, fournir une certitude absolue, au mépris de ses propres limites et de ses failles.
C'est à trois niveaux qu'il fallait relever le défi de la complexité : au niveau de la logique (sans détruire la logique), au niveau de la séparabilité et de l'inséparabilité, au niveau de la dialogique du désordre et de l'ordre. C'est cela que je me suis proposé d'élaborer La méthode.
Si la sociologie du présent, que vous avez proposée, a eu de nombreuses applications, notamment dans La Rumeur d'Orléans, la complexité est perçue par certains cercles intellectuels comme une méthode qui se limite, pour l'instant, à la réflexion épistémologique. N'êtes-vous pas enclin à considérer qu'au-delà de la résistance du milieu universitaire, que, si la méthode de la complexité n'a pas bénéficié d'une plus grande diffusion, c'est parce qu'elle n'a pas donné naissance à une grande application, de telle manière à s'imposer comme instrument d'analyse applicable et appliqué. Est-ce exact ? Si non, quelle est l'oeuvre la plus représentative de la complexité ?
La pensée complexe (ou ce que j'ai appelé La Méthode), n'est pas quelque chose qui s'applique. Ce n'est pas une méthodologie. J'ai dit, dès la préface du premier volume, que c'était une voie, une aide à la pensée. J'ai proposé La Méthode au sens de cheminement. C'est quelque chose qui aide chacun à penser, à répondre au défi de la complexité. Dans chacune de mes études empiriques, depuis La Métamorphose de Plozevet jusqu'à La Rumeur d'Orléans, j'ai appliqué la pensée complexe. En fait, mon premier ouvrage, L'Homme et la mort, est représentatif de la complexité, comme plus tard avec Le Paradigme perdu…
Pour moi, le paradigme de complexité, c'est à la fois lier et distinguer ; lier peut vouloir dire aussi implication mutuelle ; on vit sous l'empire du paradigme de simplicité, qui nous dit de disjoindre ou de réduire…
Vous refusez toute spécialisation, que vous considérez comme une mutilation de la pensée, et votre oeuvre échappe à toute classification disciplinaire. Mais vous avez proposé un champ de savoir nouveau que vous appelez la noologie, qui viendrait compléter le système actuel d'organisation des savoirs…
L'idée c'est quoi ? C'est typique de ce que j'appelle la pensée complexe : les choses nées de l'esprit humain, les dieux ou les idéologies, ne peuvent pas être considérées comme de purs produits ou de purs objets, car elles acquièrent une vie propre. C'est un paradoxe curieux parce que ces dieux n'existeraient pas sans nos esprits, il faut qu'il y ait une communauté de croyants pour qu'ils déploient leur puissance. Et dès qu'il y a une communauté, ils existent, et ils nous donnent des ordres. Autrement dit, il existe une sphère d'instances crées par nos esprits, qui nous entourent et dans laquelle nous avançons, et qui peut exercer un contrôle absolu sur nous. C'est cette idée qui est importante. Dans le fond, les créations de nos esprits, nos mythes, nos dieux, nos idées, tout en étant dépendantes de nous, ont leur autonomie et leur pouvoir…
Je pense qu'on ne peut pas échapper à la division du travail, à la spécialisation du savoir, mais il faut échapper à la clôture. Un savoir spécialisé clos devient plus nuisible qu'utile...
Vous avez des mots qui sont peut-être un peu trop durs pour les sociologues : vous dites que ce sont des gens qui brisent la vie des individus et qui n'en parlent pas, contrairement aux romanciers comme Balzac...
Longtemps, en France, la sociologie dominante, hégémonique, a été la sociologie déterministe. Il existe une tendance profonde dès Durkheim : si vous voyez la société, vous ne voyez pas les individus qui deviennent des instruments, des marionnettes de l'ordre social. Dans cette tradition, les individus sont pris dans le déterminisme, l'individualité disparaît...
Or moi, ma conception c'est un peu ce que Gurvitch a appelé la réciprocité des perspectives. .. Une société n'existe que parce qu'il y a une interaction entre les individus…
Vous comprenez que, fort de cette idée-là, j'ai réagi contre la sociologie close et ce, d'autant plus qu'elle nie l'individu et que la formation sociologique est retranchée de l'histoire, alors qu'on ne peut pas comprendre la société sans l'histoire ; elle est retranchée de la psychologie justement parce qu'il n'y a pas d'individu ; elle est retranchée de l'économie, de toutes les choses qui lui sont complémentaires ! À mon avis, cela crée un crétinisme de type nouveau, cela fabrique des "experts" qui, chaque fois qu'ils font un diagnostic, se trompent. J'ai réagi contre ça et je me suis dit : ce qu'il y a de merveilleux dans la littérature, c'est qu'elle est capable de reconstituer un monde historico-social, comme Tolstoï dans Guerre et paix, comme Balzac ou Zola. La littérature recrée un monde et en plus, le romancier est dans la tête de chaque individu, et ce sont ses personnages qui vivent dans sa tête. Vous avez un monde tridimensionnel dans le roman. Je parle des grands romans classiques ; Marx a dit que Balzac lui avait fait comprendre la société française, et cela vaut pour la société anglaise avec Dickens, pour les romans russes...
Il faut un renouvellement de la sociologie, il faut incontestablement l'ouvrir sur d'autres dimensions de la vie humaine et sociale. C'est pour ça que je suis irrité quand on me donne l'étiquette de sociologue, souvent même j'ai dit que j'étais anti-sociologue !
Propos recueillis par Hassan ARFAOUI


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