Quel courrier recevons-nous aujourd'hui ? Le plus souvent, il s'agit de factures, de relevés de comptes, d'avis divers, de brochures et de dépliants publicitaires. Les lettres particulières n'ont presque plus droit de cité dans nos boîtes postales. D'ailleurs qui, maintenant, continue d'écrire des lettres ? La correspondance épistolaire est tout simplement passée de mode. Autrefois, les programmes scolaires du primaire et du secondaire donnaient lieu à des exercices parmi les plus ardus sur la rédaction des missives de tous genres. De nos jours, la correspondance écrite la plus anodine rebute tout autant les jeunes que leurs aînés. Pour quasiment tout le monde, l'heure est désormais aux SMS, à l'e-mail, au courrier électronique dit courriel. La téléphonie mobile et l'Internet ont révolutionné le monde de la correspondance. Soucieux en permanence de célérité performante dans la communication avec autrui, l'homme ne cesse depuis la nuit des temps d'inventer les moyens les plus sophistiqués qui satisfont cette hantise. Mais les progrès qu'il réalise ne vont jamais sans quelques… dégâts. L'ère du prêt-à-écrire L'un des désastres causés par les technologies modernes de la communication est d'ordre langagier : le courrier via le téléphone portable brouille l'alphabet ordinaire et transgresse les règles de toutes les syntaxes du monde. Plus besoin d'écrire les mots et les phrases en entier ; foin des périodes qui n'en finissent pas ; inutile de peaufiner ses tournures et de soigner son style. Quelques bribes de phrases étrangement nominales agrémentées d'une dizaine de chiffres à valeur de phonèmes spécifiques suffisent à exprimer le message à envoyer. On se contente également de signes codés pour résumer un discours autrement plus long. L'utilisateur du téléphone mobile ne se sert plus que d'un doigt pour rédiger ses SMS et son index ne bouge plus dans le sens horizontal comme lorsque la main tient une plume ou un stylo ; aujourd'hui écrire les messages c'est pianoter, c'est tripoter des touches qui ôtent à votre graphie sa…touche personnelle ! Il y a pire, certains messages pour congratuler, souhaiter bonne fête, joyeux anniversaire, ou présenter ses condoléances figurent sur l'appareil et épargnent aux correspondants l'effort d'imaginer seuls leurs formules propres. C'est, diriez-vous, l'ère du prêt-à-écrire, du prêt-à-dire. D'ailleurs même les nouvelles cartes de vœux exposés sur les présentoirs de nos kiosques recourent à ce procédé peu contraignant. De là à en conclure que ce type de correspondance du XXIème siècle incite à la paresse physique et mentale, il n'y a qu'un pas que nous vous laissons franchir à votre aise. Fin d'un mythe ? Et notre bonhomme de facteur, que lui reste-t-il à mettre dans son sac porté en bandoulière ? Quasiment, rien que du courrier administratif ! A tel point d'ailleurs, qu'on le prendrait pour un employé de toutes les administrations et pas vraiment pour un fonctionnaire de la Poste ! En effet, il distribue le courrier de la STEG, celui de la SONEDE, des banques, des sociétés d'assurances, les bulletins des lycéens, les avis des tribunaux et un tas d'autres paperasses entre lesquelles il n'est guère possible de trouver une lettre d'amour, une correspondance d'écrivains, des cartes postales émises de ou vers l'étranger. Avec l'informatisation des services, le risque existe qu'on ne voie plus le moindre facteur arpenter à pied, à bicyclette ni à moto, les rues, les ruelles et les impasses de nos cités. Avec ce métier, disparaîtrait sans doute une belle mythologie créée autour du postier familier de tous les foyers et ami de tous les ménages. La littérature universelle a gavé des générations entières de ces images pittoresques et souvent attendrissantes qui poétisent une profession des plus épuisantes et des plus ingrates. Le roman par SMS ! A propos de littérature, il y a tout lieu hélas de constater que nos écrivains, nos poètes, nos auteurs dramatiques et nos intellectuels d'une manière générale ont nettement tendance à abandonner la correspondance épistolaire classique. Eux aussi se laissent tenter par les courriels. A l'occasion des fêtes, ils plagient les messages prêts-à-envoyer et les flanquent de leurs noms et prénoms. Leurs mails sont de plus en plus laconiques et adoptent également les bizarreries codées des adolescents. Sur face-book, ils lisent et écrivent des mièvreries et des lieux communs indignes de leur rang. Il ne faut plus s'attendre de leur part à ce qu'un jour ils publient des romans par lettres dans le style des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos ou de La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau. En revanche, ne soyons pas surpris s'ils initient le genre inédit du roman par SMS ou celui du roman par mail !