Revendiquer une proximité avec le réel en s'attaquant aux tabous et au refoulé social est louable en soi, mais vain du point de vue de l'art si l'appréhension du réel n'est pas intégrée à une pensée du cinéma. C'est à la faveur de son audace et de sa propension à la transgression des interdits sociaux que le cinéma tunisien a bâti sa renommée et s'est trouvé propulsé au devant de la scène arabe, vers le milieu des années quatre-vingt. Cette dynamique enclenchée par Halfaouine et « L'homme de cendres » et préparée par des films comme «Aziza», «La noce» ou «Traversées» est à l'origine de ce que l'on a un peu vite qualifié de «nouveau cinéma tunisien». Cette inflexion des thèmes majeurs des films tunisiens, si elle est incontestable, a eu pour principal contrecoup d'enfermer le cinéma national dans un réalisme de façade bien pensant où l'art du cinéma n'est que le prétexte au déploiement de thèses (souvent fumeuses) sur la société tunisienne et les maux censés la miner. Ce n'est pas tant le réalisme qui est en cause, mais son instrumentalisation par certains cinéastes en tant qu'alibi pour évacuer toute réflexion sur la forme filmique. L'histoire du cinéma nous enseigne que le réalisme n'est pas un mais multiple, et que ses différentes déclinaisons relèvent aussi bien du politique que de l'esthétique. Revendiquer une proximité avec le réel en s'attaquant aux tabous et au refoulé social est louable en soi, mais vain du point de vue de l'art si l'appréhension du réel n'est pas intégrée à une pensée du cinéma. Sur ce plan, le « nouveau cinéma tunisien » s'inscrit beaucoup plus dans la continuité du cinéma de papa contre lequel il s'est construit, en dépit des ruptures thématiques dont il a été porteur. Plus, c'est cette illusion de la table rase qui a empêché tout débat sur la manière de faire et de concevoir des images et des sons. Le désamour du public, l'indifférence de la critique, l'indigence de la production nationale sont autant de conséquences logiques de cette impossibilité qu'a depuis toujours eu le cinéma tunisien à se penser en tant que fond et forme. Si la responsabilité des cinéastes est indiscutable, elle ne peut pas valoir à elle seule comme seule explication. D'autres facteurs non moins importants ont contribué d'une manière décisive à cet «auto-enfermement» du cinéma tunisien. L'absence d'une critique cinématographique constructive et sérieuse qui accompagne les films et suscite le débat est pour beaucoup dans l'état actuel des choses. Faute de vis-à-vis crédibles, il devient difficile pour un cinéaste de remettre en question son cinéma. Le second élément dépasse le strict cadre national, il a trait à une sorte de division des tâches implicites entre le Nord et le Sud de la planète cinéma en vertu de laquelle, l'art relèverait des prérogatives des pays cinématographiquement évolués et les ersatz de films à de jeunes nations dont le mérite est déjà d'exister et de disposer de cinéastes qui puissent s'exprimer sur la réalité de leurs pays. La création dans les années quatre-vingt de fonds d'aide à la production de films du Sud, a progressivement imposé une certaine représentation de ce qu'est censé être un film tunisien, algérien ou marocain, très vite intériorisée par les cinéastes locaux qui se sont mis à faire des films pour les bailleurs de fonds étrangers lesquels relayés par une critique occidentale complaisante et paternaliste se sont trouvés confortés dans leurs choix. Face au systématisme des démarches d'écritures de certains cinéastes du Sud, et à l'émergence de cinématographies nouvelles (Iran, Corée du Sud puis argentine, Mexique, etc.), les fonds se sont détournés du cinéma tunisien. Imperturbables, installés dans leurs certitudes, en rupture avec les évolutions du septième art, certains de nos réalisateurs poursuivent leur bonhomme de chemin.