Depuis un certain temps, l'île de Djerba est sous l'emprise d'une bétonisation rampante, gagnant du terrain sans crier gare. Les terres agricoles s'effritent à perte de vitesse ; la campagne s'urbanise de manière anarchique, provoquant la défiguration et la dégradation du site naturel, qui constituait le potentiel essentiel à l'origine de la renommée légendaire de l'île. Les textes réglementaires et les plans d'aménagement, en l'absence d'un schéma directeur d'urbanisme fixant les orientations fondamentales de l'aménagement du territoire, et planifiant les modes d'organisation et de distribution de l'espace à l'échelle de l'île, de tout son territoire indivisible et indissociable, sont arbitraires et inadéquats, définis sans commune mesure avec la réalité contextuelle de Djerba en tant que région spécifique qui a stabilisé son ancienne identité insulaire grâce à la combinaison d'un ensemble de paramètres se rapportant tant à l'environnement physique et naturel qu'à l'environnement social avec ses composantes humaines et spirituelles. De surcroît, de nouvelles formes architectoniques sont adoptées, se révélant choquantes, donnant lieu à un nouveau registre morphologique émergeant, favorisant le gigantisme, l'exubérance et le superflu, en nette rupture avec son environnement contextuel, et en totale contradiction avec les traits distinctifs de l'établissement humain traditionnel djerbien. Des couleurs vives et inhabituelles commencent à faire leur entrée en lice dans le paysage immobilier de l'île, pour supplanter le bleu ou le vert des boiseries et des ferrures extérieures et le blanc des murs, conférant aux édifices une allure ridicule interpellant, voire brusquant par leur laideur le regard perplexe, ahuri et réprobateur des autochtones et des visiteurs. Le moment est venu pour arrêter de procéder avec ces plans d'aménagement obsolètes prônant le zoning et le lotissement systématique, et pour envisager d'adopter une approche globale qui devrait consister à prendre en compte l'ensemble des paramètres spécifiques et à les mettre à jour de telle sorte à proposer de nouvelles stratégies de gestion et de développement appropriées à l'environnement spécifique et très fragile de l'île. Il est temps de responsabiliser davantage les architectes, censés être les gardiens de l'identité architecturale insulaire. Maquillage A vrai dire, nous sommes en droit de déplorer la prévalence dans cette même île de Djerba de quelques exceptions d'abus en matière de constructions anarchiques qui ont échappé à la règle et dont la présence n'échappe à la connaissance de personne. On a vu des constructions émerger au sein même du domaine public maritime, d'abord timidement, montées de toutes pièces pendant le repos administratif du samedi après -midi et du dimanche, pour enfin prendre forme et s'installer effrontément au vu et au su de tous ; des structures en dur ont été récemment érigées dans une zone sensible et fragile classée dans la liste des zones humides d'importance internationale issue de la Convention de Ramsar dont notre pays est une partie contractante et dont les clauses sont contraires à toute exploitation irrationnelle, n'autorisant en définitive qu'une occupation provisoire de l'espace ; puis, on a aggravé l'outrage en procédant, en guise de camouflage, à la couverture de la structure en dur par du bois, pour maquiller le forfait et calmer les esprits indignés qui s'étaient manifestés. On a cru savoir que des décisions de démolition en bonne et due forme avaient été décrétées à l'encontre de beaucoup de constructions en infraction, mais le passage à l'acte fait encore défaut et tarde à venir. Il va sans dire, pourtant, que les constructions anarchiques constituent une entorse à la loi, et qu'elles compromettent irrévocablement le développement durable et harmonieux de la région. Combattre ce phénomène par l'application rigoureuse et incontournable de la loi a toujours été la recommandation suprême. Ces exceptions d'impunité, quelque ponctuelles qu'elles soient, ne feront qu'installer le doute quant à l'efficacité de l'autorité municipale, susciter le dépit des uns et donner davantage d'assurance à d'autres, les fauteurs en l'occurrence, au risque de pousser à la tentation, d'inciter à la récidive et de favoriser l'infraction. Les nouveaux conseils municipaux, fraîchement installés, héritent certes d'un dossier en la matière fort délicat et épineux, mais ils n'ont pas à rougir de honte, ni à s'embarrasser en faisant triompher, avant tout, la primauté de la loi, dans un Etat de droit.