Nous avons connu Adnène aux premières années de ce nouveau siècle : l'étudiant d'alors était poète en tout, et il l'est encore aujourd'hui. Autre obstiné chez lui : le passionné de théâtre qui semble vivre et survivre grâce à cet amour indéfectible de la scène et de l'écriture dramatique. Nous l'avons vu à Kairouan et à Gabès camper avec une rare maîtrise du verbe et du mouvement des personnages étranges et merveilleux inspirés de ses lectures favorites. Actuellement professeur de français à Nabeul, il continue d'aimer la poésie et le théâtre et contamine avec sa passion de tous les arts ses jeunes disciples dont il a déjà fait de brillants acteurs. Tout récemment, au mois de juin dernier, «sa» troupe d'élèves joua une comédie musicale intitulée «L'Ile de Zangra» qu'il a lui-même mise en scène. Ceci sans compter l'implication déterminante de ce talentueux artiste dans les activités et manifestations du «Printemps de Sufeitla», festival qu'il a créé et dont il est depuis quelques années le directeur. Il n'est donc pas étonnant qu'Adnène, artiste accompli, s'illustre dans l'écriture de textes dramatiques éminemment poétiques. «Zalabani, ou opérettes New-Fetula», est son deuxième du genre, après «Faratitou» publié en 2009. Texte très critique La fable réunit des personnages humains et des animaux plus ou moins familiers sur des scènes «publiques» habituellement réservées aux marginaux de la société. Mais on découvre au fil des cinq tableaux de l'opérette qu'ils expriment chacun à sa manière et dans son style particulier, des rêves déçus, des frustrations muettes, des douleurs inavouées, sinon une révolte longtemps réprimée, un ras-le-bol ou un haut-le-cœur universels et un profond malaise identitaire. Le «théâtre» où ils se produisent est certes un microcosme qui récupère tous les «types» sociaux, bons et méchants, pour tantôt les opposer tantôt les rapprocher autour de sujets tour à tour politiques, culturels, philosophiques, existentiels, moraux ou plus humblement sociaux. Au final, cette opérette d'une centaine de pages, prend l'allure d'une vaste satire de notre société et du monde arabe en particulier. On y stigmatise avec une franche bonne humeur et tout en allégories, les formes multiples du mensonge, de la corruption, de l'hypocrisie et de la prostitution ! C'est, mine de rien, un texte subversif qui ne ménage aucun tartuffe, même si ses cibles préférées sont les faux artistes et les intellectuels vendus. A l'écoute des musiques intérieures De la musique, il y en a bien évidemment dans cette pièce qui accorde la parole aux sans-paroles, qui fait écho aux silences rentrés, aux rancœurs souterraines, aux émotions sincères comme aux comédies sentimentales, aux sophismes des uns et aux discours sages des autres. Au fond, la musique dominante dans ce beau poème est plutôt intérieure ; parce que l'auteur tourne en dérision le vacarme du monde extérieur et nous met à l'écoute des borborygmes à peine perceptibles qui néanmoins secouent les êtres et motivent leurs réactions les plus violentes et les plus vraies. L'écriture d'Adnène est, elle aussi, à lire au second et au troisième degré : nous parlions de fable plus haut ; «Zalabani» en est une, en effet, et des plus poétiques ! Grâce à sa maîtrise de la métaphore, Adnène Helali nous offre une galerie de portraits allégoriques qui renvoient l'image d'une société malade et d'un monde à la dérive. Le dernier tableau de la pièce qui met en scène les funérailles d'un chat tué accidentellement par un touriste est à lui seul une «comédie» hautement symbolique. Chez Adnène, le tragique se mêle en effet au comique, le sublime côtoie le grotesque et l'épique prend soudain des allures parodiques. Mais, c'est la raillerie et la dérision qui l'emportent dans «Zalabani». Adnène aime aussi s'offrir des moments de fantaisie verbale nullement gratuite. Ses jeux de mots sont déroutants et riches de significations. Une dernière remarque sur le ton de la pièce : les séquences lyriques ne sont guère absentes de cette pièce tendre en dépit de sa virulence critique. On arrive tout de même à y percevoir le chant, non, la complainte de l'auteur, rêveur déçu qui ne désespère pas cependant de voir un jour le monde changer et son idéal se réaliser. C'est sous la tombe du chat écrasé que sommeille cette ambition d'artiste. La légende ne dit-elle pas que les chats rendent difficilement l'âme, et qu'ils en auraient sept en tout ?! Peut-être, non, sans doute en est-il ainsi des poètes et des artistes ! B.B.H *«Zalabani, ou opérettes New-Fetula», de Adnène Helali, texte en arabe littéraire, 2010, prix public : 8 dinars tunisiens .