Qui parmi les journalistes et les festivaliers ne connaît pas ce petit bonhomme affable et toujours souriant que l'on croise chaque été, sur plus de 30 nuits, à l'entrée des coulisses du Théâtre antique de Carthage et aux portes du Palais d'El Abdelliyya, à la Marsa ? Nabil Basti, 47 ans, est natif de la rue du Pacha à Tunis. Professeur d'arabe au lycée Hamouda Bacha de La Manouba, il s'est engagé depuis 27 ans dans le monde de la presse et suit de près les nuits de Carthage, comme attaché de presse de cette grande manifestation internationale. L'actuel directeur de Layali El Abdelliyya est marié et père de deux filles Maroua (17 ans) et Safa (14 ans). Nous l'avons récemment rencontré et eu avec lui cet entretien dans lequel il raconte son histoire avec Carthage et El Abdelliyya, et dresse un bilan des deux manifestations. Le Temps : Racontez-nous vos débuts au Festival de Carthage. Nabil Basti : L'aventure a commencé en 1983 : je venais d'avoir mon bac et cherchais du travail pour l'été. Mme Racha Tounsi, qui est une amie de la famille, m'a proposé de faire partie du bureau de presse du Festival de Carthage. Samir Ayadi en était alors le directeur. Mes premières contributions écrites se réduisaient aux insertions publicitaires du bulletin du Festival. Plus tard, j'y ai pris part en tant que rédacteur et je me rappelle que ma première interview était avec Abdelhalim Nouira, le directeur de la Troupe de la Musique Arabe d'Egypte. Au fil des ans, je me suis aguerri à ce nouveau métier de journaliste culturel jusqu'en 1989, année où l'on me désigna comme attaché de presse du Festival de Carthage. Cela fait 21 ans aujourd'hui que j'assume cette fonction qui me procure beaucoup de plaisir en dépit des sacrifices qu'elle exige et des tracas qu'elle cause. Justement, qu'est-ce que cette longue aventure vous a rapporté et quelles difficultés vous a-t-elle créées ? Oh ! des difficultés, pas vraiment. Le diabète, je l'ai attrapé à cause de mes manies perfectionnistes et non à cause du stress du festival. En revanche, l'aventure m'a été bénéfique à divers niveaux, notamment sur le plan des mes relations avec les gens, des nouvelles connaissances que j'ai faites dans le monde des artistes. Sur un autre plan, j'estime que l'expérience de Carthage m'a beaucoup aidé à forger ma personnalité et également à réussir dans le journalisme. Votre famille n'en a pas pâti, surtout en été, saison des vacances de vos filles ! A vous dire la vérité, j'ai cinq familles : d'abord mes parents qui ont beaucoup donné pour que leurs enfants réussissent leurs vies respectives. En ce moment, j'ai les larmes aux yeux en pensant à ma mère, femme cultivée qui a abandonné ses études supérieures de droit pour veiller sur ma santé lorsqu'enfant encore, un rhumatisme articulaire aigu faillit me paralyser. Ma deuxième famille, c'est le Festival International de Carthage dont j'ai beaucoup appris en côtoyant ses directeurs et ses différentes équipes de travail. Vient ensuite, le journalisme qui m'a rapproché des grands noms de la presse écrite tunisienne et m'a mis en contact avec les nouvelles générations de rédacteurs. Ma quatrième famille, c'est bien sûr l'enseignement. Pour ce qui est de ma petite famille, je reconnais l'avoir lésée quelque peu par mon indisponibilité estivale ; mais grâce aux sacrifices de mon épouse et à l'esprit volontaire de mes filles qui ont appris à compter sur elles-mêmes, mon absence pèse moins lourd sur le foyer. Parlons un peu du Festival de Carthage ; livrez-nous votre bilan de son édition de 2010. La 46ème édition fut à mon avis aussi grandiose et aussi réussie que ses précédentes. Nous devons préserver ce prestigieux festival international et empêcher qu'il connaisse le sort de certaines manifestations arabes autrefois rayonnantes et aujourd'hui considérablement dévaluées. Cette année, les spectacles des artistes tunisiens se sont taillé une part importante du programme mais ils n'ont pas tous connu le succès escompté : à mon avis, la participation au Festival de Carthage doit se préparer sur des années et non sur quelques mois. J'aurais préféré que nos chanteurs se mettent à plusieurs pour animer des soirées communes qui offrent au public des voix, des styles et des genres musicaux différents et variés. De la sorte, ils garantissent une plus grande affluence à leurs spectacles. Qu'en est-il des incidents majeurs de la 46ème édition ? Je n'en vois pas vraiment, à part le problème persistant de l'emplacement à réserver aux journalistes. On a tout essayé, aucune solution n'est vraiment satisfaisante. En ce qui concerne l'annulation de la soirée de Slim Baccouche, c'est l'artiste lui-même qui s'est désisté et la direction du Festival n'a pas couru après lui pour le prier de revenir sur sa décision. Carthage est plus grand que tous les noms ! L'été prochain, le mois de Ramadan coïncidera avec le début du mois d'août et à la même période, commencera le Festival de la Médina de Tunis. Ne craignez-vous pas que les deux manifestations se gênent l'une l'autre ? Absolument pas. Pour tout vous dire, le paysage culturel national est assez grand pour accueillir toutes les manifestations sans que l'une ne dérange l'autre ! Et qu'avez-vous à dire sur votre expérience à la tête des Nuits d'El Abdelliyya? En fait, j'y suis venu par un concours de hasard. Mais je peux dire que ce festival désormais indépendant de Carthage, commence à tracer sa voie et à se créer des habitués. Si cette année, l'espace fait le plein 4 ou 5 fois, je considèrerai l'édition réussie. Nous sommes en train de réfléchir à ouvrir l'espace au public 12 mois sur 12 et à aménager une nouvelle entrée au site. Mais le coût élevé de nos projets risque de retarder leur exécution. Vous verra-t-on un jour à la tête du Festival de Carthage ? Ce serait un honneur pour moi, parce que c'est une autre manière de rendre service à mon pays. Cela dit, je dois remercier Boubaker Ben Fraj, actuel directeur du Festival. J'ai beaucoup d'estime pour cet homme des grands paris. Il est faux de croire qu'il a cherché ce poste. Il a juste répondu à l'appel du devoir. Pour terminer cet entretien dans la bonne humeur, racontez-nous quelques anecdotes sur le Festival de Carthage, dont vous avez été témoin ou acteur. Je n'oublierai pas cette promenade dans la Médina de Tunis en compagnie de Gilbert Bécaud. Nous avons croisé un marchand d'harissa sucrée. Bécaud demande à savoir ce que c'est et croit que c'est pimenté. En apprenant qu'il s'agit d'une pâtisserie au miel, il en commande un gros morceau qu'il mange en entier! L'autre anecdote mémorable concerne une troupe dont j'ai oublié la nationalité et qui s'est rendu compte à quelques minutes du début de son spectacle, qu'un instrument vital manquait à l'orchestre. Heureusement que la troupe séjournait dans un hôtel tout proche du Théâtre ; on a donc rapporté l'instrument manquant sans causer de vrai retard dans le concert. Entretien conduit par Badreddine BEN HENDA