Lorsque la décision fut prise, lundi dernier, de fermer tous les établissements scolaires et universitaires du pays, les élèves et les étudiants venaient à peine d'entamer la reprise après les vacances d'hiver. Au secondaire, les cours étaient déjà un peu perturbés par les conseils de classe et au supérieur, la majorité des étudiants passaient les examens et les devoirs du premier semestre. Mais les événements dramatiques et les troubles que diverses régions et autres villes tunisiennes ont connus fin décembre et début janvier faisaient craindre le pire. Pour certains parents que nous avons rencontrés, ces vacances imprévues accordées depuis mardi 11 janvier tombent à pic, quoi que dans des conditions difficiles. Les familles se sont-elles pour autant préparées à ce nouveau congé scolaire ? Comment pourraient-elles et devraient-elles le gérer ? Les élèves et les étudiants eux-mêmes sauront-ils le remplir convenablement ? Et leurs enseignants, comment perçoivent-ils cette nouvelle rupture des cours ? A Tunis comme partout à l'intérieur du pays, on mesure sans doute les bienfaits de la mesure prise conjointement par le ministère de l'Education et le ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique ; on est conscient, en même temps, des devoirs et des responsabilités supplémentaires qu'elle impose aux familles afin qu'elles sachent contrôler et préserver leurs enfants dans le contexte difficile actuel. Perturbation budgétaire Déjà, lundi dernier, lorsqu'à Tunis, les premiers troubles se déclenchèrent dans certains lycées et facultés de la capitale, plusieurs parents quittèrent leurs lieux de travail pour aller s'enquérir de leurs enfants et les ramener à la maison. On téléphona de partout pour avoir des nouvelles de la situation dans telle école, tel lycée ou telle université. Quelques-uns anticipèrent sur la décision ministérielle et demandèrent à leurs enfants de ne pas suivre les cours de l'après-midi et de garder la maison. Le lendemain, mardi, les gares routières et ferroviaires ainsi que les stations de louages accueillirent de nouveau des milliers d'étudiants qui n'avaient pas d'autre choix que de rentrer au bled en attendant la reprise. Ce qui implique des dépenses nouvelles avec en plus le risque de voir ces jeunes gaspiller tout l'argent du mois pendant le congé et obliger leurs parents à accorder une rallonge budgétaire qu'ils n'ont pas prévue et qu'ils sont peut-être incapables de consentir. Autre risque à prévoir : les étudiants originaires d'une autre ville que celle où ils poursuivent leurs études mettront probablement du temps pour reprendre les cours et ne respecteront pas tous la date que fixeront les autorités concernées. Ils attendront que les salaires de leurs parents soient versés ; ces derniers peuvent eux-mêmes différer leur retour jusqu'à ce qu'ils soient rassurés complètement sur la situation à l'Université. Contrôle difficile des garçons Mais le plus difficile pour ces parents reste en ce moment le contrôle des sorties des adolescents en particulier. Un écolier peut se contenter de jeux vidéo à la maison et d'émissions télévisées. Ce n'est pas toujours le cas lorsqu'il s'agit d'un jeune de 16 à 22 ans qu'il est difficile de retenir entre quatre murs une journée durant. C'est pourquoi de nombreux parents d'adolescents s'inquiètent sérieusement à chaque sortie de leurs enfants respectifs. Ils ont beau les mettre plus d'une fois en garde contre les agissements risqués et les débordements de certains de leurs pairs, leurs angoisses n'en sont pas pour autant apaisées. Ils maintiennent alors avec eux un contact téléphonique régulier en veillant à chaque coup de fil à réitérer leurs appels à la sagesse et à la prudence, avec toujours cette crainte légitime de voir leur progéniture en faire fi et céder à ses penchants velléitaires. Il faut souligner toutefois que ces appréhensions concernent le comportement des garçons plutôt que celui des filles, souvent moins emportées que leurs frères. En général, les adolescentes causent moins de soucis à leurs familles pendant les temps libres et leurs sorties sont plus rares et de loin plus faciles à contrôler, notamment dans les villes de l'intérieur. Vigilance et éducation sage Pour en revenir aux étudiants qui ont vu leurs examens interrompus, le récent arrêt des cours peut avoir des bienfaits mais il présente aussi quelques risques : en effet, d'un côté ce congé offre une nouvelle marge de temps pour mieux préparer les épreuves restantes. Le congé hivernal n'a sans doute pas suffi pour concilier récupération et révision. Cette période de vacances supplémentaires tombe donc à point pour rattraper le retard enregistré. Mais d'un autre côté, on peut craindre que l'interruption des examens n'entraîne une perturbation, voire un relâchement dans la préparation et la concentration de certains candidats, surtout que la durée du congé est pour l'heure indéterminée. C'est un peu comme chez les athlètes et les sportifs : la trêve qui amène à la rupture des entraînements peut altérer considérablement les performances de ces derniers. Les enseignants que nous avons interrogés sur le sujet conseillent de continuer à réviser tout en s'offrant quelques heures de loisirs. En ce qui concerne les sorties des adolescents, ils recommandent la responsabilisation de ces derniers et préviennent les parents contre le contrôle excessif des mouvements et des déplacements des jeunes. On pourrait, en les harcelant de mises en garde ou en les accablant de reproches, provoquer chez eux des réactions imprévisibles et peut-être opposées à celles qu'on espérait d'eux. Ces éducateurs appellent les familles à créer en toute circonstance un climat propice à la discussion libre et à l'échange des points de vue, même lorsque les avis divergent totalement. Il ne faut surtout pas abuser de l'autorité parentale et amener le jeune à prendre des mesures responsables. « Cette maturité est le fruit d'une éducation sage et patiente, qui bannit toute sorte d'excès et privilégie le dialogue et la concertation à propos de tout. En classe aussi, ajoute l'un de nos interlocuteurs, les enseignants doivent se mettre à l'écoute de leur jeune public et l'aider à mûrir sans l'obliger à subir en toute chose la prétendue supériorité des adultes. Toute la société doit procéder ainsi avec la jeunesse, de la sorte on pourra la préserver des dérives et des égarements propres à cet âge et dont peuvent profiter les « prédateurs » de tous bords ! ».