Il est parti un jour comme celui-ci ; un certain 21 mars 2010. Est-ce qu'il faisait beau ? Est-ce qu'il pleuvait ? On n'en sait rien. On sait seulement que d'un coup, sur la scène musicale tunisienne, mais pas seulement, il y a eu comme un grand vide. Un silence. Son saxophone a dû beaucoup pleurer ce jour-là… C'était quelqu'un de très discret. De très doué aussi. Etre discret lui a peut-être, quelque peu, causé du tort. On dit quelque peu, pour ne pas dire que dans le fond, on aurait préféré, aimé pour lui, qu'il fut tonitruant, sans pitié ni remords, puisque c'est comme cela que les choses semblent marcher le mieux. Mais lui était « tonitruant » tout de même, à sa manière, puisque toute sa musique, l'amour et le respect qu'il vouait à la musique, et sa passion pour le saxo, tout cela conjugué à une immense et étrange tristesse, habitaient son regard. Et quand il lui arrivait de s'emparer de son instrument, avec générosité et simplement, comme on respire, juste pour faire plaisir à des amis, il nous vrillait le cœur. C'était, le laps d'un instant, comme une porte ouverte sur un monde aux antipodes, où ne pouvaient accéder que quelques heureux élus. Et, on était heureux d'avoir pu être, l'espace de quelques instants, les témoins émerveillés de ce moment de grâce. Emerveillés parce que privilégiés d'être en présence d'un artiste, aussi doué, qui implose le silence. La dernière fois qu'on aura eu l'insigne honneur de l'écouter jouer en solo, c'était à Carthage. Ce fut déchirant. Comment expliquer ce sentiment –étrange-, qui s'empare de vous, d'être en face, en présence de quelqu'un, qui joue sa musique, à la vie à la mort, d'en être, autant subjugué qu'infiniment triste, sans comprendre les raisons, inexpliquées, de cette extrême mélancolie ? On a su plus tard ,qu'il était très malade. On pense aux siens, à ses enfants, à Amina Srarfi, sa compagne et épouse, au plus jeune de ses enfants qu'il ne pourra pas voir grandir. Le temps lui a manqué. Mais on gardera longtemps, très longtemps à l'oreille, le chant si doux, si puissant, et tellement lancinant de son saxophone, qui traverse le temps. On ne l'oubliera pas.