Depuis le 14 janvier 2011, la rue tunisienne est inondée de slogans révolutionnaires. Il n'y a pas jusqu'aux squatters des immeubles Omar el Mokhtar de la cité Sidi Hassine qui en criaient devant le siège du gouvernorat de Tunis, mardi dernier. Les publicitaires ne pouvaient pas, eux non plus, manquer une telle occasion pour promouvoir toutes sortes de produits. Opportunistes par définition, ils manqueraient à cette réputation rentable s'ils ne prenaient pas part à une telle joute nationale des formules enflammées. Une promenade en ville suffirait aujourd'hui pour se rendre compte que la muse Révolution a inspiré bien des annonceurs de chez nous. Pas plus tard qu'hier, mercredi 23 mars, nous avons lu, sur une affiche publicitaire pour un produit détergent local, un texte à première vue anodin et plutôt sympathique. Il disait en substance que la protection de la révolution est l'affaire de tous les Tunisiens. Rien à redire donc si ce n'est que le spot en question était destiné à faire vendre un détergent. Y fait-on allusion à la vague d'épuration tous azimuts qui accompagne la Révolution tunisienne ? Faut-il en déduire que la protection de la révolution ne pourrait pas se concrétiser sans « nettoyage » profond de la « crasse » de l'ancien régime ? En tout cas, il y a matière à réflexion dans ce spot ingénieux et qui peut aussi prêter à équivoque : car on ne dit pas qui est visé par l'épuration. Ne se peut-il pas que le texte soit antirévolutionnaire sans en avoir l'air ? Dans un autre spot de promotion, on invite à « investir dans la démocratie ». Qui pouvait, avant le 14 janvier songer à un tel message publicitaire ? Cet autre texte est aussi intelligent que le premier, cité plus haut : comme en plus il est écrit dans la langue de Shakespeare, il s'adresse tout logiquement à d'éventuels investisseurs étrangers pour qui la notion de démocratie sous-entend aussi stabilité sociale dans le pays et donc chances dédoublées de réussite du projet. Discours on ne peut plus alléchant pour les promoteurs occidentaux qui fuient comme la peste les troubles politiques ou sociaux. On notera par ailleurs que le drapeau tunisien occupe une place de plus en plus grande dans les annonces publicitaires qui rendent également hommage à la jeunesse de manière beaucoup plus ostensible qu'elles ne le faisaient avant. Les élans patriotiques et juvéniles auxquels renvoient diversement nos publicitaires s'accompagnent bien souvent d'une note d'optimisme et de sérénité évidente. De nombreuses affiches augurent en effet d'un avenir radieux pour la Tunisie nouvelle.
Jeunesse et tourisme intérieur
A propos des nouvelles générations telles qu'elles sont représentées par nos annonceurs, il y a lieu de s'attarder sur un récent texte promotionnel de l'Office national du tourisme : il s'agit là encore d'un slogan accrocheur et bien à propos qui appelle « nos enfants » à mieux connaître leur pays. La Tunisie vit ces derniers jours une large vague de sensibilisation à la nécessité de se rendre dans les régions et les villes de l'intérieur du pays. Comme de surcroît la reprise du tourisme avec l'étranger risque de tarder encore, il n'est pas bête de relancer le tourisme local. C'est d'ailleurs dans les habitudes de notre cher Office du Tourisme de se diriger vers les Tunisiens chaque fois que les Etrangers boudent nos grandes unités hôtelières. Quoi qu'il en soit l'occasion est à saisir pour découvrir et redécouvrir et bien sûr pour admirer les richesses et les beautés inouïes de notre merveilleux arrière-pays. Oui, nous ne pouvons pas mieux souhaiter pour nos enfants que la connaissance de leur propre Terre avant celle des autres pays. Oui, le voyage forme la jeunesse même à l'intérieur des frontières d'un seul Etat. Les parents de cette nouvelle génération doivent eux-mêmes modifier leurs conceptions et leurs références en matière de tourisme intérieur. Nous avons un beau pays à promouvoir dans toutes ses dimensions, pourvu que l'Etat y travaille. Il est à craindre en effet, qu'une fois la crise passée et la flamme révolutionnaire éteinte ou affaiblie, les démons de l'Occident ne reprennent notre Office National du Tourisme et nos hôteliers lesquels se remettraient alors à éconduire tout touriste tunisien désireux de jouir des mêmes égards que le visiteur étranger.
L'amour du pays
Dans le même sens, une initiative prise récemment par la télévision nationale a donné lieu à un nouveau jeu interactif permettant de faire plus ample connaissance avec les villes et les gouvernorats de l'intérieur. On y propose un nom de ville (en général délégation ou commune) et l'on demande de quel gouvernorat celle-ci relève. Le jeu est doublement intelligent : il rapportera sans doute beaucoup d'argent à ses divers promoteurs, surtout que les questions sont plutôt faciles ; en plus il révise et enrichit les connaissances de chacun sur la géographie tunisienne. Encore faut-il le passer et le repasser aux meilleures heures d'audience. Une crainte supplémentaire à formuler : que les organisateurs du jeu se soucient seulement des gains que leur rapporte le concours. Si leur intention est également de nous rapprocher davantage les uns des autres, ils doivent garantir la longévité du jeu et motiver toujours plus les participants. Offrir par exemple aux gagnants, mieux que de l'argent ou bien en supplément de la cagnotte, un week-end ou une semaine dans un hôtel ou une résidence de la ville ou du gouvernorat sur lesquels ils ont été interrogés. C'est une manière de montrer qu'on aime vraiment chaque coin et recoin de ce pays qui regorge de plages, de montagnes, de dunes et d'oasis, de sites imprenables pour lesquels le monde entier nous envie. Aimer et faire aimer ce cher pays, c'est aussi une façon de participer à sa Révolution !