La Tunisie vit depuis des semaines au rythme de sa Révolution qui dégage des senteurs de courage, de dignité de liberté et de jeunesse ; mais dégage aussi des fumées de passion et d'exaltation. Une vraie révolution, ne l'oublions jamais, qui a coûté la vie à des dizaines de martyrs qui ont donné leur vie pour que d'autres Tunisiens aspirent à un présent et surtout à un avenir meilleur. Humbles, reconnaissants et dignes nous ne ferons jamais assez pour honorer leur mémoire et préserver la flamme de liberté d'espoir et de patriotisme qui les a animé et qui a animé la longue liste des martyrs de la Nation. Les Tunisiens ont appris à dater leur quotidien depuis quelques temps par la Révolution. Mais n'oublions pas qu'il y avait aussi un passé. Un passé moins glorieux pour certains, modérément pour d'autre mais très glorieux pour ceux aussi qui sont la fierté de la Nation, même si on ne partage pas leurs projets politiques qu'ils soient de droite ou de gauche. Ils ont été le symbole d'une résistance farouche, téméraire et courageuse. Ils sont peut être « d'une autre époque », mais nous nous devons d'être reconnaissants et ne pas oublier leur engagement pour la défense des droits fondamentaux. Cette reconnaissance et ce rôle ne devraient pas les placer au dessus de la mêlé et ne les excuse pas de se soumettre aux feux de la critique, du moment qu'ils souhaitent maintenant jouer un véritable jeu politique sans héroïsme et sans sympathie de victimisation. Les Tunisiens consomment aujourd'hui avec abondance les médias, sans discernement à mon sens. Tant mieux pour ceux qui sont avertis, le reste ont intérêt à le faire. Ils ont aussi intérêt à rapidement enseigner à leurs enfants une culture de l'analyse critique du produit médiatique. Pour revenir à la Révolution et pour faire court, je dirai qu'elle offre aujourd'hui trois grandes opportunités. La première, c'est la chance historique de réformer les instituions politiques du pays. Les anciennes institutions sont désuètes, inadaptées et ne correspondent plus ni aux aspirations légitimes de changement démocratique ni aux exigences de la mondialisation ou de l'économie de marché autour duquel le pays semble avoir dégagé un consensus à son sujet, ou du moins je l'espère. Toute réforme institutionnelle devrait aboutir à moins de concentration de pouvoir, à une redéfinition des rapports du citoyen au pouvoir (liberté, participation et redevabilité), des rapports du citoyen à la société (tolérance et pluralisme) et du citoyen à l'Etat (devoir vis-à-vis des obligations fiscales, règles de conduite, respect des lois, etc.). On devrait aussi investir dans « l'arme institutionnelle » pour stabiliser le pays sans recourir à la coercition, l'autoritarisme ou le parti unique. Le pays devrait se doter de partis politiques forts, compétents et responsables, d'organisations corporatistes fortes et responsables, d'une société civile vibrante dotée de grandes capacités pour que l'ensemble du dispositif institutionnel fonctionne comme un garant du pluralisme, du respect des règles démocratiques et comme un garde fou contre tous les dérapages autoritaires de droite ou de gauche. Rappelons nous, la menace est toujours réelle. La deuxième opportunité c'est le changement du modèle de développement économique du pays qui a montré ses limites à réduire le chômage, à lutter contre les inégalités surtout régionales et son incapacité à rompre avec un modèle économique de rente ou de quasi rente, sans parler de son déficit grave en matière de transparence dans les affaires et de dispositif laxiste de lutte contre la corruption. Le nouveau modèle, prendra du temps, il faut être réaliste, mais on doit commencer par corriger les erreurs du passé. La Révolution offre à la Tunisie une meilleure posture pour renforcer sa résilience économique et améliorer ses chances de s'orienter vers une économie propre, d'efficience et de connaissance. Ce nouveau modèle devrait stimuler le partenariat de la Tunisie avec l'Union européenne qui va s'acheminer vers des modalités de coopération plus prometteuses, réellement basées sur des valeurs démocratiques communes et devrait servir nos intérêts mutuels et renforcer la capacité de la Tunisie à mieux s'intégrer dans l'économie globalisée sans mettre en péril son tissu social. Enfin, la troisième opportunité qu'offre la Révolution c'est de pouvoir profiter de cette manne divine de population jeune, éduquée et pleine de potentialités créatrices et d'énergie débordante. Tout projet politique devrait être attentif à cette forte demande de participation et ne pas faire l'erreur fatidique d'utiliser les jeunes et la jeunesse comme « label de fraîcheur ». Les idées géniales, l'entreprise innovante, les nouvelles technologies, la communication moderne, la créativité artistique, le « smart management », la solidarité sociale, l'économie verte, l'éducation des pairs, l'audace dans les réformes, les nouvelles modalités relationnelles, c'est par les jeunes qu'elles doivent passer. La Révolution a libéré toute sorte d'énergies dans le pays. Elle nécessite des modalités efficaces pour transformer cette force en une grande vision pour la Tunisie et un leadership pour orienter cette énergie du moment vers une attractivité démocratique vertueuse chargée de liberté, de responsabilité, d'altruisme, et d'abnégation. La Tunisie, à travers cette Révolution, aborde son avenir avec fierté, espoir et inquiétude. Nous éprouvons une grande fierté d'appartenir à cette Nation affirmée et à ce peuple fabuleux, qui s'est montré courageux, digne et intelligent. Aujourd'hui, l'espoir renaît de voir le pays rompre à jamais avec la dictature, le clientélisme et la corruption. D'autres part la chasse aux sorcières, la démagogie et la mémoire courte sont des sources majeures d'inquiétude. La violence nous guette, il faut absolument la chasser. L'intolérance devrait être combattue avec acharnement à travers la mobilisation de la société civile autour des valeurs de respect et du vivre en commun pour éviter sa banalisation. Durant la phase cruciale de la transition le dialogue reprend, timidement, difficilement, péniblement, c'est un des grandes acquis d'une démocratie, mais ils n'est pas encore institutionnel, loin d'être consolidé et tourne souvent au dialogue de sourd, alors qu'il est censé produire de idées pour faciliter le changement. Et pourtant, il faut continuer à dialoguer, pour éviter le pire, la « fitna », prélude à la violence. Entendons nous bien, personne ne veut revenir en arrière, et personne ne souhaite que « l'Etat » reprenne son comportement de domination sur la société. Il est clair qu'on ne peut plus compter sur le « Pouvoir » pour tout régler, qu'on ne peut plus sous-traiter notre responsabilité aux décideurs qui nous gouvernent, qu'on ne peut plus ne pas avoir d'opinions. On se doit maintenant d'être pleinement citoyen. Il faut assumer pleinement cette responsabilité et participer à la transformation démocratique de notre pays. C'est une œuvre exaltante, passionnante et obligatoire. En ce sens, c'est une œuvre révolutionnaire et vive la révolution.