Caïd Essebsi mange du lion: « D'ici là, plus de sit-in, ni de perturbations d'ordre sécuritaire… Pensons à la situation économique grave » « Nous réussirons notre Démocratie bien avant tout le monde » Clin d'œil à Ghannouchi: « J'affirme qu'Islam et Démocratie ne sont pas anti-thétiques » « On reproche à ce gouvernement de ne pas avoir de légitimité fonctionnelle ». En d'autres termes, moi, Béji Caïd Essebsi, je ne suis pas un rejeton de la Nation et ce gouvernement est, d'abord, dans une logique de transition démocratique, mais il est aussi dans une logique révolutionnaire. Plus qu'un exposé institutionnel, comme à son accoutumée, quelque peu caustique, taquin, irritable, mais viscéralement excentrique, le Premier ministre dit tout, ne s'empêchant pas d'en placer une à chaque coin de phrase. Les absents à ce grand rassemblement ? Il pense qu'ils ont eu tort ! Sinon, il ponctue stratégiquement ses démonstrations de morceaux de versets coraniques, de quelques hyperboles empruntées aux Hadiths ; il évoque même une belle effusion lyrique de Mustapha Filali, à propos de la liberté. « Savoir pardonner » En bon croyant, il considère qu'il faut savoir pardonner et là il parle de cette affaire d'indignité des Rcédistes. Il tient mordicus à couper la poire presque en deux : 10 ans et non 23 ans, ce qui serait parfaitement logique et, même juste, parce que, dans la logique « totalitaire » des 23 ans d'indignité, tous ceux qui ont travaillé avec Ben Ali, des hommes comme Saâdeddine Zmerli ou feu Mohamed Charfi seraient interdits de démocratie, eux qui avaient tant lutté pour. Pardonner oui, punir aussi : Là, Béji Caïd Essebsi se met dans la psychologie de Foucault, même si, en bon Bourguibiste, il ne cache pas son aversion pour la corruption et tout simplement pour l'argent. Cet argent au centre de toutes les malversations du régime déchu ; régime corrompu et absolutiste – n'est-ce pas la même chose finalement ! Dans ce même ordre d'idées, Béji Caïd Essebsi vante les mérites des trois commissions formées du temps de Mohamed Ghannouchi, tout juste après le 14 janvier. Il explique, sensibilise l'assistance, clarifie des points importants. La commission présidée par Abdelfattah Amor traite quelque chose comme 7700 dossiers ; 1500 par celle de Taoufik Bouderbala ; et l'autre commission, celle qui a la responsabilité politique de la sauvegarde des intérêts de la Révolution, présidée par Yadh Ben Achour, a déployé, selon le Premier ministre, un travail titanesque. De cette commission est née la Haute Instance pour les élections. Il est peut-être difficile pour les Tunisiens de croire qu'un Premier ministre n'a pas qualité pour infléchir les décisions de la justice qui est en train de recouvrer toute sa souveraineté. En réalité, nous sommes de facto dans un régime parlementaire – même s'il manque une composante essentielle, le Parlement – et dans cet esprit, les pouvoirs du Président de la République sont limités pour ne pas dire entre les mains du Premier ministre avec une attitude équidistante vis-à-vis de la Justice. Certes, Béji Caïd Essebsi dit s'interdire d'imposer quoi que ce soit à ses ministres (comme à Farhat Rajhi ?), mais il est assez politiquement fort pour être trop démocrate et en tous les cas, quand on possède un tel charisme avec un sens théâtral aussi consommé, on ne peut être que le chef ! D'ici le 23 octobre… Tout un travail d'approche ; des digressions bien calculées pour faire avaler la pilule : « Ce sera le 23 octobre ». Ce jour là consacrera l'élection de la Constituante. Et avec 50-50 entre femmes et hommes. Non événement, dirait-on ! Oui, mais qu'y a-t-il derrière ? Et si la Constituante adoptait le scénario gardé secret, paraît-il : Six mois, à partir du 23 octobre pour préparer une Constitution, puis des élections présidentielle et législatives. Auquel cas, Béji Caïd Essebsi et Foued M'bazaâ resteraient à la barre durant cette période là. Entre-temps, le Premier ministre devient ferme, et même belliqueux : « nous sommes là jusqu'au 23 octobre. Je prends à témoin le secrétaire général de l'UGTT : nous ne pouvons plus tolérer de sit-in ou de perturbations. Il faut en finir avec le climat de suspicion. Nous venons d'élaborer un projet complémentaire de loi de finances. Le tourisme est aux abois et il fait vivre un million de personnes. On enregistre 281 entreprises sinistrées. Nous ne pouvons pas donner du travail à 700.000 chômeurs à la fois. Et, en plus, le taux de croissance (1%) n'en permet d'employer que 16 mille ! Je demande à mes concitoyens d'être conscients de ce qui se passe : une guerre fait rage à nos frontières, nos forces sont mobilisées pour assurer l'intégrité territoriale du pays. Nous hébergeons à ce jour 471000 réfugiés libyens alors que l'Europe « flippe » pour les 9000 qui s'y sont rendus. Je rends, oui, je rends hommage au peuple tunisien et j'ai bien dit aux Européens que nous ne refoulerons pas les frères et sœurs libyens ! ». Arrogance et sens de pathétique à la fois. L'air grave aussi, un peu à la Churchill au moment où il préparait les Anglais à l'attaque nazie sur Londres ! Clin d'œil pour… Ghannouchi L'Europe, le G8 représentent la transition idéale dans son discours (sans papier !). « Nous avons une excellente réputation ». Et légitimement jaloux des acquis de la Révolution. Il se transforme en un Jules César : « Veni, vidi, vici ». En d'autres termes : « La Révolution gagne, dit-il. Nous battrons tout le monde (clin d'œil aux Egyptiens) parce que le modèle qu'épousera la Tunisie en imposera au monde tout entier. Au G8, partout, on est conscient qu'ISLAM et DEMOCRATIE ne sont pas antithétiques ». Et cette fois le clin d'œil, c'est pour « l'ami » Ghannouchi. Raouf KHALSI