Voilà ce qui nous attendrait si jamais les extrémistes religieux prenaient les choses en main: la violence et la terreur. Dimache vers 17h, un groupe de ces « revenants » arborant des drapeaux noirs ont pris d'assaut la salle de cinéma AfricArt essayant d'empêcher la projection du film « Ni Allah ni Maître » de Nadia El Fani. La scène était tragi-comique, puisque moins de deux heures auparavant et dans le même hôtel, un colloque international qui avait pour thème « Les religions dans les démocraties » et qui a duré deux jours venait de s'achever sur une note optimiste. La réponse aux propos mielleux et promesses avancées au cinquième étage était venue du sol, le terrain social a ainsi démenti les auteurs des phraséologies développées au ciel : le fossé est encore trop profond entre les deux sphères. L'hystérie
Ces fanatiques qu'on a déjà vus à l'œuvre dans les maisons closes et les bars restaurants, ont donc brisé les portes d'entrée vitrées et se sont introduits dans la salle où ils ont terrorisé les spectateurs en majorité des femmes et des enfants. Au passage, ils ont agressé l'un des agents de sécurité qui a essayé de leur barrer la route, il avait la main tout en sang et les yeux enflés de gaz. En dehors, devant la salle, la scène était complètement inédite : pendant que ces terroristes dont des filles voilées criant avec des voix hystériques « Allah Akbar » attaquaient la porte avec des coups de pied, des massues, des barres de fer et …des épées, les forces de l'ordre les contemplaient de l'autre côté, à quelques mètres au niveau de l'Avenue. Elles n'ont pas bronché pendant près de quarante cinq minutes, et quand des passants les ont exhortés à intervenir, elles ont répondu qu'ils attendaient les ordres. Agir conformément aux règlements est un bon signe qui nous montre que notre police a révisé ses méthodes, mais ce qui par contre n'était pas normal c'est que ces ordres ont tardé à venir, alors qu'on était à proximité du Ministère de l'Intérieur et que surtout la vie de citoyens était en danger. Finalement, la police a maîtrisé la situation et arrêté plusieurs parmi ces fanatiques criminels.
Les maîtres de l'hypocrisie
La projection du film, objet de controverse et de violence, a enfin eu lieu avec toutefois une heure de retard après de petits discours rassurants de la part des organisateurs qui ont bien sûr dénoncé le fanatisme et réitéré leur détermination à continuer leur lutte contre ce fléau qui menace très sévèrement notre société. Le film commence par un sous-titre «Laïcité inchallah». Cet assemblage qui paraît provocateur ne l'est pas en fait, car les deux éléments le constituant ne sont pas antithétiques contrairement à ce que croient certains qui ont une définition erronée du mot « laïcité ». Ce mot veut tout simplement dire la séparation des sociétés civile et religieuse. Le film « Ni Allah ni Maître » met à nu l'hypocrisie qu'il dénonce avec véhémence. Cette hypocrisie dont les auteurs sont l'Etat et le citoyen s'exerce essentiellement pendant le mois de Ramadhan. Le premier l'est par la législation, le second par le comportement : l'Etat autorise la boisson alcoolisée et l'interdit certains jours et à certaines heures, le citoyen fait également la chose et son contraire, il est visiblement contaminé par son protecteur, il affiche une attitude qui ne reflète pas ses convictions et ce qu'il est réellement. Au Ramadhan, tout le monde jeûne, tout le monde ne jeûne pas, les cafés ne désemplissent pas, mais dans la rue et chez soi, on est obligé d'exhiber la foi. A travers les témoignages recueillis, Nadia El Fani a voulu donner de la force à une vérité très contestée en la plaçant dans la bouche de ses personnages qui sont choisis parmi les gens ordinaires n'ayant ni niveau d'instruction ni niveau intellectuel et qui s'expriment donc spontanément et sans arrière-pensée, elle a procédé de la sorte pour éviter de donner à cette réalité scientifique une dimension idéologique et politique : le jeûne est incompatible avec la nature humaine, en ce sens que celui qui se prive de boire et de manger n'est pas en mesure de travailler et de donner le rendement escompté, ce qui est largement attesté par la quasi-paralysie de la vie économique pendant le mois saint.
Les origines du fanatisme
Cette hypocrisie trouve son origine, d'après le film, dans l'intolérance sévissant au sein de la société. En effet, les fanatiques ne pardonnent jamais les « péchés » de ces libertins qu'ils n'hésitent pas à châtier par tous les moyens si jamais ils les prenaient en flagrant délit. Le film montre que ces extrémistes sont recensés principalement dans les quartiers les plus déshérités. En d'autres termes, c'est dans la pauvreté que le fanatisme prend racine et s'épanouit. Parallèlement à ce facteur social, il en existe un autre de nature purement politique : le grand apport de Bourguiba dans la montée de l'intégrisme. Il s'en est systématiquement servi à chaque fois que la Gauche s'est affermie et qu'elle occupait les devants de la scène, et lorsque les Intégristes se faisaient une bonne santé, il la mettait en ruine en revigorant sa rivale et ainsi de suite, c'était la politique de l'alternance chère au père spirituel du modernisme.
L'esprit de la laïcité
Le film de Nadia El Fani est un cri assourdissant contre l'intolérance de l'Etat qui place tous les citoyens sous la coupe de la même loi, la loi islamique qu'il applique indistinctement à tous, les Musulmans et les non Musulmans !!! La solution préconisée par ce film est la LAICITE, ce que ne cessent de réclamer haut et fort tous les fervents défenseurs de la démocratie dans ce pays. Néanmoins, si son contenu et les thèmes qu'il évoque sont largement plausibles, son titre « Ni Allah ni Maître » reste inapproprié, il est une provocation gratuite donnant des arguments à des fanatiques qui ne demandent que cela pour se faire donner raison et légitimer leurs actes barbares. Un laïc n'a pas le droit de porter atteinte aux croyances des autres, bien au contraire, il doit faire preuve de tolérance et respecter les différences. D'ailleurs, ce n'est pas ce qu'il réclame ? Faouzi KSIBI
Rached Ghannouchi :
«Ce genre de film représente «une agression» et «une insulte» envers les croyances sacrées»
Rached Ghannouchi s'est déclaré indigné et a condamné l'usage de la violence, sans oublier d'ajouter qu'Ennahdha dénonce aussi toute attaque contre l'Islam et que ce genre de film représente "une agression" et " une insulte " envers les croyances sacrées.