Au troisième jour de Ramadan, nous avons voulu tâter le pouls des portefeuilles de nos concitoyens et prendre la température des marchés. Hier, tiraillés entre plages et fêtes de mariage, les consommateurs tunisiens se retrouvent aujourd'hui face aux dépenses astronomiques du quotidien, en attendant l'arrivée de l'Aïd et de la rentrée scolaire, sans oublier la poursuite des soldes pour madame et les filles. Le premier personnage coloré que nous rencontrons au marché central est un retraité qui passe de longs moments ici et qui appelle les vendeurs par leurs prénoms, car il les côtoie chaque jour. Pour lui « ce n'est pas la Révolution qui provoque la hausse des prix, il en a toujours été ainsi durant tous les mois de Ramadan que j'ai vécus... » Puis notre bonhomme s'enhardit : « de nombreux commerçants confondent profit et cupidité. Ce sont des spéculateurs, des voleurs qui agissent au vu et au su de tous et personne n'ose les affronter. » Devant l'air menaçant du marchand d'en face, notre interlocuteur précise : « pas lui, c'est un homme honnête… » Courageux, mais pas suicidaire ! Autre personnage familier de ces lieux : un fonctionnaire, la quarantaine, qui se sent « coincé entre le marteau des prix et l'enclume de mon salaire. Les fonctionnaires sont les principales victimes du système, des tricheurs et des profiteurs de tous bords. Or nous sommes à la base de ce système, nous constituons la classe moyenne, celle qui subit toutes les crises et qui a de plus en plus de mal à survivre dans cette ambiance confuse. » Une dame apparemment plus aisée tient elle aussi à participer à la contestation générale. « ce qui m'énerve, m'agace et m'irrite c'est par exemple l'attitude du boucher qui m'impose de la viande de mouton ou de bœuf pleine de graisse, d'os et de nerfs pour 15 dinars le kilo ! Dans ces cas-là, je suis obligée de jeter les déchets, qui sont réellement impropres à la consommation. Résultat : le kilo de viande me revient à trente dinars! » Même problème pour les autres produits, dit-elle : « le poisson débarrassé de ses entrailles, de la tête, des arêtes et autres nageoires, perd plus de la moitié de son poids et le kilo double de prix ! » Cette manière de calculer, appliquée à tous les produits de consommation courante, donne des résultats effrayants : nous jetons la moitié des produits que nous achetons tout en payant le double du prix. C'est valable, pour la viande et le poisson, mais aussi pour les fruits et les légumes… Une enseignante d'un certain âge, qui en vu d'autres se pose la question essentielle : « il y a un moyen de s'en sortir, de payer des prix convenables pour des produits locaux, qui payent moins de taxes que les produits importés. Il suffit pour cela de s'attaquer à la source du problème, à la racine : les intermédiaires, qui profitent du système sans se fatiguer, comme le « Habbat » (le grossiste) du marché de Bir El Kassaâ, qui prend 15% de commission, le Khaddhar (détaillant), qui prend 35%, en plus des taxes et de la TVA, ce qui fait exploser les prix. C'est à ce niveau qu'il faut agir… » Une autre femme, de condition plutôt aisée, conclut : « si les tunisiens s'entendaient pour n'acheter que ce dont ils ont besoin, il n'y aurait pas d'augmentation des prix. Mais il y a la « Raghba », cette frénésie inexplicable, semblable à un instinct de survie, qui s'empare des humains en période de crise ». Qui a dit que le bon peuple n'a pas de bon sens et que seuls les économistes et les gestionnaires ont une vision globale de la situation ? Yasser MAAROUF amad salem [email protected]