Qui dirige le pays ? Le gouvernement ? La Constituante ? Certainement pas Foued Mbazaâ ! Sinon les avocats – qui s'installent dans le conflit des idéologies - , ou les juges rattrapés par l'ancienne/nouvelle bureaucratie ? Ou alors l'armée redevenue populaire, sécurisante aux yeux des Tunisiens mais qui reste… l'armée. Les Tunisiens ne se voient pas en effet gouvernés par l'armée. Fût-elle de type turc – et c'est peut-être pour cela qu'il ne se sentent pas en mesure de lui offrir un bon prétexte : une Nahdha victorieuse aux urnes… Pas question de rééditer le scenario catastrophe du FIS algérien ! Mais alors qui ? Il est vrai que Caïd Essebsi a les rugissements d'un vieux lion ; mais un vieux lion conscient des faiblesses structurelles de son gouvernement et de la voracité des jeunes loups – vieux eux aussi à vrai dire – convoitant les meilleurs axes sur l'échiquier politique. Le cafouillage (invraisemblable) entre ministère de l'Intérieur et celui de la justice est paradoxalement à l'honneur du Premier ministre : il respecterait, à priori, la souveraineté de l'un et de l'autre, et c'est cette divergence équidistante de ces deux souverainetés qui aura ouvert un boulevard devant Saida Agrebi. Mais ce n'est pas à son crédit. S'il n'agit pas en vieux lion, en roi lion, il agit (et c'est plus plausible) en vieux renard. Il n'est plus dans la sagesse et il est de plus en plus dans l'action. Il doit parer au plus pressé. Avec cependant, et en bon disciple de Bourguiba, ce champ de prérogatives que ne foulera personne ni aucune instance. Sans doute aurait-il été plus souhaitable que Caïd Essebsi collabore davantage avec la Haute Instance de Ben Achour et, en retour, celui-ci aurait été plus inspiré de se comporter en gardien des valeurs de la révolution et des piliers de la République, plutôt qu'en tribunal de l'Inquisition. On aura en effet perdu trop de temps à disserter sur le passé, à croiser – toujours – le regard dans le rétroviseur alors que la mutation démocratique a ses exigences immédiates. Pourquoi, par exemple, faire la courbette à Ennahdha, qui refuse de révéler ses sources financières ? Pourquoi réserver des séances et des séances à cette identité arabo-musulmane comme si nous n'étions ni arabes ni musulmans ? Et comment se fait-il qu'on regarde sans réagir - du côté de la constituante comme de la part du gouvernement – les outrances nihilistes tenter de prendre déjà l'avenir du pays en otage? Quand le Premier ministre s'est rendu à la Haute Instance la dernière fois, on a eu l'impression qu'on en était encore à s'interroger sur le sexe des anges… Entre temps, il y a 37% de Tunisiens qui ne risquent pas de voter. C'est cet abstentionnisme qu'attend le diable, tapi dans les recoins obscurs d'une conscience collective chancelante. Parce que justement le diable a la certitude que le pouvoir est à prendre.