Par une journée lumineuse, furent célébrées les noces électorales. J'ai plongé l'index dans le bleu d'outremer, dans une vague océane et j'ai peint l'aile aérienne d'une étoile. J'ai mis du soleil sur un bulletin de vote et de l'azur dans mon âme. J'étais l'épousée au doigt enduit du henné sacré d'un jour nouveau. Les battements précipités de mon cœur retentirent dans cette salle calme et sereine où fut scellé le pacte. A la sortie, saisie par une émotion unique, me sentis fière et légère, définitivement réconciliée avec ce lieu, déserté pendant des décennies. Derrière le calme apparent de mon compagnon de vie, se lisait l'incommensurable bonheur de vivre ce moment béni. File d'attente infinie, impressionnante, électeurs disciplinés, détendus, heureux. S'ils pouvaient l'être, également, devant la boulangerie ? Nous avons immortalisé le moment et posé pour l'éternité, l'index, fièrement exhibé en un signe de victoire. Journée désirée, attendue, le ciel était d'un bleu intense et l'air plus léger. Longue soirée électorale célébrée par la chaîne nationale, la langue n'était pas de bois, les interventions pertinentes, même la culture était de la partie, Noureddine Ouerghi était invité pour déclamer un poème racontant le supplice des artistes bafoués, sous le règne de l'oppresseur. Du bonheur partagé. Je ne pouvais jamais m'imaginer, veillant, si tard, devant la télé. A mesure que le taux de participation grimpait, l'euphorie nous gagnait. Nous avons terrassé le dictateur, une seconde fois, cette nuit là. Réveil difficile, ce lundi, la radio diffuse des chansons engagées, les résultats se font attendre. Un coup de fil m'a fait sursauter, la voix blanche d'une amie m'a glacée. Interrogations, incertitude, déception, inquiétude, angoisse se mêlent. Pas eu le temps de fêter la joie de la veille, de la goûter longuement, à coups d'éclats de rire et de vivats. Aux tous premiers résultats, le cœur chancelle. On aurait aimé une nouvelle qui fasse sauter de bonheur, qui nous mette des étoiles dans les yeux, qui nous donnerait l'envie de virevolter de joie, l'envie de sortir, d'aller crier notre allégresse, tous ensemble, dans la rue. On aurait aimé une nouvelle qui nous donnerait des ailes. Nous atterrissons si brutalement. Au téléphone, les voix sont éteintes et étranglées par la déception. Mille questions nous oppressent, mille hypothèses en guise de réponses. Nous nous sentons trahis. Par qui ? Par nous-mêmes ? J'ai passé mon lundi à errer, tentant de retrouver ma bonne humeur et mon enthousiasme de la veille, m'accrochant à un optimisme viscéral, essayant de ne pas céder à l'abattement. Décidément, il va falloir apprendre que le jeu démocratique est, parfois, si cruel, qu'il va falloir accepter sa propre défaite et la victoire du camp adverse, puiser dans sa force pour rester debout et continuer le combat. Tranquilliser ceux qui ont peur, qui paniquent, qui désespèrent, qui se sentent perdus et orphelins. On aurait aimé être rassurés sur le sort de cette démocratie balbutiante, la confier à ceux qui en sont dignes. Déjà, nous étions insatisfaits par des discours de propagande moroses et, parfois, mensongers et hors sujet, promettant monts et merveilles à un électorat désemparé par la crise du chômage, par la pauvreté, par la marginalisation, un discours séduisant qui incitait à voter pour des intérêts personnels, allant jusqu'à la corruption. Déjà, nous étions irrités par l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques, alors que la révolution a des causes purement économiques et sociales. On aurait aimé qu'on nous parlât, davantage, de libertés, de démocratie, de droits, d'égalité, de parité, de justice, de citoyenneté. Malgré tout cela, dimanche, une force politique progressiste est née, celle d'un peuple qui s'est approprié son destin, qui croit en une Tunisie démocratique et moderne, qui, même si elle se sent frustrée, pèsera, de tout son poids, sur les futures décisions. Elle est là, debout, vigilante, garante de la Révolution, elle poursuit le combat pour de futures réjouissances et des lendemains qui chantent. Tounès THABET