Il y a quelques années, nous étions très amis avec un nonagénaire de Sousse très sympathique et très original (que Dieu ait son âme !). C'était un grand amateur de beauté féminine. Leyla Ben Ali était parmi les femmes qui titillaient ses fantasmes. Chaque matin, en nous voyant lire le journal, il nous demandait régulièrement si la photo de la « présidente » y était à la une. Quand elle y figurait, il daignait jeter un regard sur ce quotidien, sinon il nous faisait entendre d'un geste facile à deviner que, ce jour-là, le journal ne valait pas grand chose ! Ces derniers jours, le souvenir des anecdotes du défunt ami nous revient chaque fois que nous scrutons les premières pages de notre presse quotidienne et hebdomadaire. On n'y accorde presque plus de place aux photos des belles femmes. Dans d'autres contextes, nos journaux n'auraient pas raté celle de la sulfureuse vénézuélienne, élue récemment Miss Monde. Dans les rubriques politiques, sociales, économiques, culturelles ou même sportives, la gent féminine se fait rare quand elle n'en est pas totalement absente. Mais le sujet de l'heure, c'est le choix du futur président de la République, de son Premier Ministre et du Président de l'Assemblée Nationale Constituante. A-t-on une seule fois avancé le nom d'une femme ? Il y a une vingtaine de jours, un hebdomadaire de la place (que Dieu ait son âme également !) publia à la une un montage photographique représentant le futur président tunisien : c'était un homme ! Aujourd'hui encore, les seuls noms proposés sont masculins. Et nos femmes, les féministes comprises, n'y trouvent rien à redire ! Nous osons prétendre que même un journal féminin tunisien ne se serait pas posé de questions là-dessus ! Les hommes et les femmes de chez nous sont comme d'accord pour reconnaître que nous n'avons pas encore de femmes présidentiables ! Tout ensemble, ils donnent l'air d'approuver un certain présupposé selon lequel la politique serait une affaire d'hommes. Entendez « la grande politique », les postes de premier plan, la direction du pays quoi ! Les « mauvais exemples » Une Angela Merkel sous nos cieux ! Vous délirez ? Une Margaret Thatcher tunisienne, peut-on seulement l'imaginer ? Certes, on a beaucoup « jacassé », durant la dernière campagne électorale à propos de la parité entre sexes. Mais, maintenant on est passé aux choses sérieuses ! A la rigueur, on pourrait penser à un nom féminin au moment de pourvoir le poste de Ministre (ou de Secrétaire d'Etat) des Affaires de la Femme et de la Famille ! Mais il ne faut pas pousser plus loin la plaisanterie ! Dans le monde arabo-musulman, une femme à la tête du Ministère de la Défense, du Ministère de l'Intérieur, de l'Economie, des Affaires Etrangères, de l'Education, de l'Enseignement Supérieur, cela se conçoit difficilement. C'est à croire que les hommes qui y furent nommés jusque-là valaient mieux que les femmes dans la gestion de tels départements. L'Histoire de ces pays nous apprend que très peu de ministres de sexe masculin se sont illustrés par leur bonne gouvernance des secteurs qu'on leur confiait. Tels présidents (rois, princes, sultans, khédives, beys, deys), tels ministres : c'est cela la règle dans nos sociétés. Dans l'expérience tunisienne, on peut néanmoins citer l'exemple de la « Mejda » Wassila Bourguiba et celui de la « Régente de Carthage », l'épouse de Ben Ali. Elles furent, à un certain moment du règne de leur mari respectif, des présidentes « de l'ombre ». Wassila Bourguiba ne se contentait guère, à partir des années 70, d'un rôle de figurante. Les témoignages (publiés ou télévisés) de certains ministres de Bourguiba l'attestent largement. Mais, le gros c'est Leyla Ben Ali, elle n'a commencé à se manifester au grand jour que durant la dernière décennie du régime déchu. Mais, après la fuite du couple présidentiel, le peuple tunisien a découvert l'étendue de son pouvoir « satanique » et l'ampleur des « dégâts » que cette dame a causés au pays. Misogynes, soit ! Mais pas séniles ! Ces deux expériences « féminines » désastreuses du pouvoir en Tunisie ont sans doute conforté nos politiques actuels dans leurs convictions sexistes. Mais nous sommes également convaincus qu'auprès de l'ensemble du peuple tunisien, ces deux « régentes » n'ont pas laissé les meilleures impressions. Est-ce à dire que, sans le souvenir de ces deux fiascos, les Tunisiens auraient accepté d'être gouvernés par une femme ? Nous en doutons fort ! Le retour en force de l'islamisme sous nos latitudes est loin de favoriser une valorisation politique du « sexe faible ». Avec la montée de certains courants intégristes, heureux encore si nos femmes gardent leur droit de travailler en dehors de chez elles. Un poste politique dans le gouvernement, elles seraient alors bien culottées d'en rêver ! Certes, nous ne devons pas encore anticiper les choix de nos futurs dirigeants, mais force est de reconnaître qu'en ce moment une certitude existe : ni le Président, ni le Premier Ministre, ni le Ministre de la Défense, ni le Président de la Constituante ne porteront de jupons dans le prochain gouvernement! Pour l'heure donc, ça se joue entre hommes d'un certain âge ! En effet, il y a lieu de craindre aussi que la future équipe dirigeante ne soit formée que de vétérans. La vieillesse rime-t-elle toujours avec sagesse ? Si la mise à l'écart du sexe faible peut se concevoir pour certains analystes persuadés que dans la Tunisie actuelle, il est inutile de chercher une femme qui réponde idéalement au profil exigé pour être présidente ou même ministre, qu'on fasse au moins l'effort de désigner quelques jeunes de 40 ans à la tête de certains départements. Nous pensons que dans sa majorité, le peuple tunisien craint la gérontocratie tout autant que la théocratie. S'il est prêt à tolérer un pouvoir « misogyne », il n'est pas sûr qu'il supporte longtemps les radotages séniles ! Et puis n'a-t-on pas corné nos oreilles dix mois durant avec le slogan « révolution des jeunes » ? Maintenant que sonne l'heure des actes, donnons-leur une chance, à ces jeunes sans lesquels nos cacochymes n'auraient jamais retrouvé leur seconde jeunesse !