Les politiques d'emploi appliquées au cours des dernières décennies n'ont pas abouti à des résultats satisfaisants. Le chiffre d'un million de chômeurs pourrait être atteint dans quelques mois, rendant inévitable des prises de décisions courageuses afin de réduire ce fléau. La présente opinion vise à montrer l'un des principaux freins qui handicapent les sociétés tunisiennes à embaucher des salariés, à savoir mesurer l'importance des charges sociales et fiscales liées aux salaires. Plus que la partie supportée légalement par les entreprises, la pratique de fixation du salaire à son montant net implique la prise en charge par la société également de la partie normalement due par le travailleur. Les exemples fournis ci-dessous montrent que le total du coût payé, par rapport à un salaire net donné, constitue un véritable obstacle financier empêchant les entreprises à recruter du personnel. Moyenne En théorie, les charges sociales relatives aux retenues sur salaires effectuées en vue de la constitution de pensions de retraite ou pour la couverture des régimes obligatoire de sécurité sociale, se décomposent en deux parties, les charges salariales et les charges patronales. Les premières devaient être supportées par l'employé, avec un taux égal à 9,18 % du salaire brut. Quant aux deuxièmes, s'élevant à un taux de 16,57% demeurent supportées par l'employeur, justifiant leur appellation de "patronale". La société paie aussi les charges sociales relatives au régime de réparation des préjudices résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles, dont le taux varie de 0,5% à 5% en fonction du degré du danger du secteur d'activité. En additionnant tous ces taux, on arrive à une moyenne de paiement pour le compte de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale égale à 28% sur la base du salaire brut. Contrairement à la théorie qui partage légalement ce fardeau entre l'entreprise, à concurrence du deux tiers environ, et le salarié à concurrence du tiers, la pratique fait supporter la caisse de la société toute la charge. En effet, les négociations à l'embauche dans le secteur privé se font dans la majorité des cas sur le montant du salaire net et rarement sur le brut. Par conséquent, l'employé encaisse à la fin du mois le salaire net et se désengage de toutes les charges s'y rattachant. L'entreprise recalcule le salaire brut à partir du montant net convenu et supporte à elle seule la totalité de la charge sociale, que ce soit patronale ou salariale. La même logique s'applique à la retenue à la source fiscale, dont le montant coïncide avec l'impôt sur le revenu du salarié. La loi charge le patron, en tant que payeur, de retirer ce montant du salaire brut et de reverser cette retenue au trésor. Vu sous cet angle théorique, la société joue simplement le rôle de collecteur et ne paie pas de sa "poche" l'impôt personnel du travailleur. Toutefois, la pratique du salaire net équivaut à faire supporter l'entreprise également la retenue à la source relative à l'impôt sur le revenu du salarié. Prenons des exemples chiffrés pour montrer la lourde charge réellement liée au salaire et qui représente un vrai handicap au recrutement. Si le travailleur est embauché pour un salaire mensuel net de 700 dinars, les charges sociales et fiscales, supportées en totalité par l'entreprise, s'élèvent à 355 dinars environ, soit plus que 50% du montant net revenant au salarié. Facture salée Pour un salaire net de 1000 dinars, la société doit payer mensuellement 550 dinars, sous forme de CNSS et de retenue à la source, c'est-à-dire 55% du salaire net. L'augmentation du taux de 50% à 55% entre les deux cas de salaires nets de 700 et 1000 dinars, s'explique par le barème progressif de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, qui taxe les revenus sur la base de taux augmentant avec les paliers des revenus atteints. Ainsi, en cas de salaire net de 1500 dinars, la société doit payer en plus pas moins de 900 dinars par mois, soit 60% du salaire net convenu au départ. Par ailleurs, d'autres taxes viennent "saler la facture". Il s'agit de la TFP (taxe de formation professionnelle), égale généralement à 2% du salaire brut et de la FOPROLOS (contribution au fonds de promotion des logements sociaux) égale à 1% du salaire brut. Ces exemples mettent à l'évidence la très lourde charge supportée par une société pour chaque paie de son salarié. Ce coût pourrait encore augmenter en cas de treizième mois ou de prime accordés. La situation s'aggrave en estimant les avantages en nature dont pourraient bénéficier les salariés (logement, voiture, bon d'essence, etc.) et qui doivent supporter également ces taux excessifs. Le coût total devient quasiment insupportable dans la majorité des cas, amenant des sociétés à réduire leurs recrutements et aggraver le nombre des chômeurs. Il est à notre avis, plus qu'urgent de réduire ces taux fiscaux et sociaux, dont le total tend à avoisiner le montant du salaire net, rendant ainsi le coût global supporté par la société égale presque au double du salaire. Plusieurs patrons pensent trouver la solution en réduisant le salaire déclaré afin de baisser ces charges. Bien qu'illégal, cette pratique demeure moins grave que le travail en noir, qui constitue une des autres conséquences de ces taux excessifs. La société n'est pas un e vache à traire Concluons par affirmer la nécessité de réduire considérablement les charges sociales et fiscales relatives aux salaires, qui atteignent actuellement des niveaux fortement élevés. La société n'est pas une "vache à traire" aux ressources inépuisables. Le coût global pour un salaire donné ne doit pas ainsi dépasser un seuil logique, faute de quoi, la rentabilité n'est plus assurée. La crise de chômage ne sera pas résolue avec ces taux excessifs, dont les conséquences sont néfastes aussi bien aux entreprises qu'aux caisses de l'Etat. D'ailleurs, il est plus que probable qu'en réduisant sensiblement ces taux, les recettes étatiques pourraient même augmenter, grâce à la réduction du nombre des employés en noir et de ceux déclarés moins que leurs salaires réels. Ainsi, les équilibres du budget de l'Etat et de la CNSS ne seront pas menacés, tout en dopant le rythme et le nombre du personnel recruté. Mehdi MAAZOUN Expert Comptable Vice-président de l'Association des Jeunes Experts Comptables de Tunisie