« La docilité est la source de tes souffrances tout comme la résignation à l'injustice sociale est celle de ton martyre.» Yu Dafu Voilà trois jours que ça dure. Les blessés de la Révolution et les familles de martyrs campent dans le hall du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice Transitionnelle. Depuis, l'affaire a fait couler beaucoup d'encre. Des blessés encerclés, des jeunes amputés agressés, des femmes et jeunes filles terrorisées et un ministre absent. Tout s'est déroulé après que l'on ait pris soin de couper l'électricité… Qui a donné les ordres ? Qui a semé ces brigades venus, lundi soir à 22h, intimider les blessés de la révolution et les familles des martyrs puis les insulter, les attaquer et les effrayer pour qu'ils «foutent le camp» ? Est-ce ainsi que l'on traite les héros d'une Révolution dans un pays qui se glorifie de se respecter les Droits humains, de vouloir sacraliser la justice et la dignité sociales ? Est-ce ainsi que le ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, un ministère qui aurait dû faire la fierté de la nouvelle Tunisie, qu'il conçoit le traitement de la bravoure juvénile ? Sur place, nous avons été au ministère des Droits de l'Homme. Nus y avons trouvé l'édifice du ministère, mais avons ramé à y trouver ne serait-ce un soupçon des Droits de l'Homme. Des bops encerclaient le hall, enguirlandant leurs casques et prêts à prendre d'assauts les «victimes» à tout moment. Après une discussion lente et stérile entre la présidente de la commission des blessés et des martyrs de la Révolution à l'ANC, Yamina Zoghlami et une association bénévole pour la protection des droits des blessés, le ton monta et la tension était à son comble. Les laissés-pour-compte s'indignent !
Aïcha, 35 ans, 5 Décembre, Le Kram,(blessée par une balle la tête) «Ce que je demande c'est que le ministre des Droits de l'Homme annonce officiellement ses excuses pour nous avoir humiliés et nous avoir traités de voleurs !» «J'ai reçu une balle dans la tête, entre les yeux. C'était le 15 janvier et je venais de sortir de chez moi. Voulant arrêter une voiture, on a tiré sur moi la balle s'est plantée dans ma tête. Le fauteur a pris en charge mon transfert à l'hôpital. Les séquelles sont terribles. Après un coma de trois semaines, j'ai perdu deux de mes cinq sens, l'odorat et le gout. Quant à la balle, après une opération ultra-compliquée, on n'a pas pu la retirer vu qu'elle a éclaté en 170 morceaux à l'intérieur de mon crâne. On m'a demandé le carnet blanc grâce auquel je peux poursuivre, soi-disant mes soins. J'ai reçu es deux tranches d'indemnité, 6 mille dinars et une carte d'handicapé !», nous montrant son carnet de soin, notre interlocutrice continua : «Regardez bien les dates de mes rendez-vous à l'hôpital ! On ne m'auscultait que chaque trois ou quatre mois, pour arriver à huit mois d'intervalle aujourd'hui ! Je souffre de douleurs de tête atroces et mon état m'interdit de prendre des comprimés anti-migraine ! A quoi servirait un carnet de soin si je ne peux pas me faire soigner avec ? Si je n'ai ni le droit au scanner, ni à l'IRM ? De plus cette carte d'handicapée «mentale», alors que je ne le suis pas ; m'a condamné au chômage ! Comment vais-je vivre ? Pensez-vous que les tout juste 200 d que le ministère des Affaires sociales nous a livrés occasionnellement nous suffisent ? Ou que les 6 mille dinars que l'on m'a donnés suffiront à me faire vivre tout le semblant de vie qui me reste ? Je demeure psychologiquement traumatisée, j'ai des pertes de mémoire successives. Il m'arrive de m'évanouir en pleine rue ou de heurter un mur sans le voir ! Aujourd'hui, je suis réduite à la mélancolie et à un suivi médical psychiatrique à vie. Tout ce que je demande c'est que le ministre des Droits de l'Homme annonce officiellement ses excuses pour nous avoir humiliés et nous avoir traités de voleurs ! C'est grâce à nous qu'ils sont maintenant au pouvoir ! Pourquoi tant d'ingratitude ! Pour ce qui est de la procédure juridique et le procès ! C'est une autre paire de manche ! Après avoir nié, tireurs se sont contredit puis ont avoué leur faute, Dieu merci ! Mais jusqu'à présent, aucun d'eux ne purge sa peine et sont toujours libres ! Toute ma vie est réduite à néant ! Je suis allée même au Président de la République et lui ai textuellement dit : Soigne-moi ! Il est impératif que je récupère ma santé ! C'est un calvaire ce que je vis. J'aurais préféré mourir que de devoir endurer une dégradation pareille de ma santé et une humiliation de la part du gouvernement ! J'ai perdu toute confiance en eux. Cette impunité qui perdure nous mine ! Les partis politiques nous ont menés en bateau ! ».
Mohammed El Hédi, 50 ans, tabassé par les forces de l'ordre durant la Kasbah 2, 70% de dégât corporel «Il n'est pire injustice sociale que d'être rejeté par un régime politique qui nous doit son couronnement !» «J'ai été tabassé le 23 janvier 2011, durant le sit-in de la Kasbah II. Je m'étais enveloppé du drapeau tunisien et étais parti rejoindre mes semblables pour crier contre l'injustice. Quand ça a bardé, une dizaine de policiers m'ont tiré par le dos et m'ont violemment agressé, j'ai eu deux côtes brisées, un bras fracturé et un traumatisme crânien. J'ai perdu connaissance et repris mes esprits à l'hôpital. Maintenant, je me fais soigner à l'hôpital Razi de la Manouba. Depuis l'agression, j'ai vendu mon petit commerce pour payer mes soins, à savoir 22 mille dinars. Ma vie familiale est partie en miettes. J'ai divorcé et suis retourné vivre chez ma mère parce que je n'ai plus les moyens, ni la santé pour assumer mon rôle de père. Les 6 mille dinars que l'on m'a donnés n'ont pas suffi à couvrir les dépenses de la vie après que j'aie perdu ma source d'argent ! Qu'ils me rendent la santé et je leur rendrais cette somme dérisoire ! On a besoin d'être sérieusement pris en charge, psychologiquement et financièrement ! On a un droit moral à moyen terme et un droit matériel à long terme à réclamer. Il faudrait que justice soit rendue ! Il faudrait arrêter ceux qui nous ont agressés pour commencer ! Les visages des policiers qui m'ont tabassé me hantent jusqu'à présent ! Je me rappelle parfaitement d'eux. Je veux qu'ils soient punis ! C'est injuste que ceux qui ont été derrière les barreaux détiennent le pouvoir alors que ceux qui sont sortis dans la rue et mis dehors Ben Ali deviennent SDF et clochards ! C'est nous qui leur avons offert sur un plateau d'argent le pouvoir, mais pas le pouvoir de nous humilier et nous écraser comme ils l'ont fait hier quand ils nous ont frappés dans le noir !»
Raouf Guesmi, 39 ans, blessé par balle dans les poumons et le foie «Je suis un miraculé ! Si la bonté divine m'a épargnée, le gouvernement ne l'a pas fait !» «J'ai reçu une balle le 13 janvier dans la cité Sijoumi. Une balle m'a transpercé le poumon droit, le foie puis, en s'éclatant, a brisé quatre côtes. D'ailleurs, les médecins n'ont pas pu la retirer. Malgré une opération pour stopper l'hémorragie, mes blessures ne sont toujours pas pansées. J'ai perdu plus de 20 kilos depuis. Je peine à vivre, je n'ai plus de force physique et j'ai perdu mon emploi. Mis à part le carnet blanc et les six mille dinars, on n'a ni la gratuité du transport, ni le suivi médical adéquat ! Il nous faut une solution à long terme, un salaire à vie pour avoir une vie digne. Après tout, on n'est pas en train de quémander! Nous sommes des citoyens qui avons donné de notre vie pour la patrie, un minimum de reconnaissance et de dignité nous est dû.» Au terme de la journée du 27 mars, et parès une entrevue avec les blessés, Mme Yamina Zoghlami, présidente de la Commission des martyrs et des blessés de la Révolution a signalé l'urgence d'une séance plénière exclusive au sein de l'Assemblée pour traiter le dossier et créer une instance exécutive qui sera chargée du dédommagement des blessés et des martyrs.