«Lotfi Ben Mahmoud », le frère du martyr « Montassar », en compagnie d'autres membres des familles meurtries, a commencé par projeter les films qu'il accompagnait d'explications et de témoignages. Ces vidéos, dont le montage était réalisé en France par un émigré qui a longtemps hésité avant de les leur livrer par peur de la réaction des autorités, présentaient des séquences où les forces de l'ordre, dont certains étaient en civil, usaient de tous les moyens de « dissuasion » y compris les arbalètes. Ils étaient visiblement très agités, ils jetaient les pierres et tiraient les balles sur les manifestants dans toutes les directions, la position de l'un des agents, appartenant à l'unité des « Forces d'Intervention » de « Tataouine » venue en renfort, responsable de la mort de trois des martyrs, d'après les affirmations des familles, nous donnait l'impression qu'on assistait à une scène de tirs ou de chasse, puisqu'il était accroupi et bien concentré sur ses cibles.
Les complices
« Lotfi Ben Mahmoud », le porte-parole des familles des martyrs du « Kram », a dirigé son doigt accusateur vers « Transtu » pour avoir mis ses bus à la disposition de la police, « Télécom » pour «l'aide logistique accordée à cette dernière» ainsi que le Ministère de la Santé pour avoir livré des «certificats médicaux falsifiés» attestant mensongèrement que la cause de la mort des martyrs était l'arrêt cardiaque et non pas les balles, il prend toutes ces institutions pour complices ayant participé d'une manière efficace et déterminante au carnage du « Kram ».
L'étouffement de la vérité
De son côté Maître Leila Haddad, avocate des familles des martyrs, a expliqué que le tribunal militaire a abandonné le dossier du « Kram » dans son volet pénal arguant de l'insuffisance des investigations disponibles dans le département de l'accusation. En réaction à cette décision et à toutes celles prononcées par les tribunaux militaires de Tunis et du Kef concernant les dossiers des martyrs et des blessés de la Révolution des gouvernorats de Bizerte, Sousse, Monastir, Nabeul, Zaghouan et du grand Tunis , l'avocate a interjeté appel et demandé l'ouverture d'une nouvelle enquête dans la localité du « Kram », une démarche qui relève normalement des prérogatives du procureur général conformément aux articles 26, 27 et 28 du « Code de Procédure Pénale ». Toutefois, elle pense que la réouverture de l'enquête serait vaine s'il n'y avait pas une volonté politique qui veuille vraiment rendre justice aux victimes. Selon Maître Leila Haddad, «le procureur général a également failli à son devoir quand il n'a pas demandé la pratique de l'autopsie sur les cadavres», elle considère qu'ensevelir les balles enfouies dans ces derniers c'est garder le secret et dissimuler le crime. Elle estime donc que l'étouffement de la vérité a commencé à l'hôpital.
L'entrée en vigueur retardée
Couvrir les crimes est un processus qui s'est déclenché, d'après elle, depuis le début des investigations, le 16 Février 2011, jusqu'au transfert du dossier devant les tribunaux militaires le 6 Mai sur la base de l'article 22, accordant la compétence à ces juridictions quand les forces de l'ordre sont parties au procès, et l'article 7 privant les familles d'être assistées par leurs avocats. Cette procédure n'a été amendée qu'en Juillet 2011, mais l'amendement n'est entré en vigueur que le 16 Septembre, le temps de laisser le département de l'accusation prononcer sa décision le 9 au Kef et le 15 à Tunis. Tous ces éléments, précise-t-elle, montrent à l'évidence une volonté délibérée bien orchestrée de la part des autorités compétentes d'exclure le rôle des avocats.
Noyer le poisson
D'autre part, l'avocate a précisé qu'elle a essayé d'obtenir les enregistrements des événements meurtriers de la salle des opérations de la Garde Nationale, et qu'on lui a fait savoir que le matériel était défaillant entre le 13 et le 17 Janvier 2011, une thèse complètement démentie par le Président Directeur Général, Mohammed Amine El Abed et un autre officier. Elle a aussi évoqué le témoignage accablant de l'agent « Bilel Chaïbi » contre les nommés « Karim Ben Salem », l'ex chef de poste de police, et « Noureddine Lassoued », un témoin capital dont l'arrestation suite aux événements de « Al Abdelliya » est un moyen détourné pour l'éloigner de l'affaire, a-t-elle affirmé.
En réponse à notre question se rapportant au comportement du gouvernement vis-à-vis du dossier des martyrs et des blessés de la Révolution, Maître Leila Haddad a été claire : « je ne vois aucune différence entre le gouvernement actuel et tous ceux qui l'ont précédé, il continue dans la même voie que ses devanciers. Personnellement j'ai contacté presque tout le monde, messieurs Dilou, Larayedh, Ben Jaâfar, des députés, notamment ceux de la commission s'occupant des martyrs et des blessés, mais à part quelques visites de courtoisie de la part de ces derniers, on n'a rien obtenu. Nous allons épuiser toutes les voies de recours et utiliser tous les moyens légaux jusqu'au bout après quoi nous nous retournerons vers la cour internationale de justice ».