Nous assistons depuis un peu plus d'une décennie à une mutation profonde au niveau du commerce mondial : une mutation qui se caractérise par des gros déséquilibres commerciaux et qui affecte tout particulièrement l'axe Sino-américain. Toutefois, ce changement (mutation) reste à la fois concentré et marqué par une régionalisation croissante. En effet, en 2010, dix pays ont à eux seuls réalisé un peu plus de 50% des exportations mondiales de marchandises et plus des deux tiers des exportations de services. L'Union européenne (UE) 27 détient 34,6%, suivie de près par l'Asie (31,5%) puis par l'Amérique du Nord (13,2%). L'Afrique, qui se marginalise de plus en plus n'a réalisé qu'à peine 3,3% et ceci malgré ses 15% de la population mondiale. Les différentes crises financières (1987, 1997, 2008), qui ont frappé les pays occidentaux et certains pays asiatiques, ont joué en faveur de ces derniers dont la part dans le commerce international devrait encore augmenter dans les prochaines années.
La dernière décennie a été marquée par une aggravation des déséquilibres commerciaux et par la montée de l'endettement de beaucoup de pays occidentaux. En effet, l'Allemagne a confirmé ses excédents alors que la quasi-totalité des pays de l'UE sont en déficit. Cependant, les déséquilibres les plus marquants portent sur les relations de la Chine avec les Etats-Unis et l'Union Européenne.
Chine-Etats-Unis : des déséquilibres profonds
Entre 1980 et 2000, les excédents de la balance commerciale de la Chine se situaient aux alentours de 1 à 1,5% du PIB. En 2011, cet excédent a atteint 11% du PIB. An même temps, nous avons enregistré une baisse de près de 33% de la part des Etats-Unis dans les exportations mondiales entre 1980 et 2009.
En 2010, le commerce des Etats-Unis avec la Chine s'est élevé à 460 milliards de dollars contre à peine 2 milliards de dollars en 1970. L'analyse des provenances des importations américaines en 2010 montre que 20% en provenaient de Chine contre 17% de l'UE, 14,5% du Canada, 12% du Mexique. La valeur des exportations des Etats-Unis vers la Chine est inférieure à la somme de celles dirigées vers l'Union-Européenne, le Canada et le Mexique.
Les flux commerciaux entre ces deux géants mondiaux représentent donc un enjeu majeur pour l'économie mondiale. Un tel niveau d'échange annonce-t-il une nouvelle polarisation du commerce internationale ? L'axe transatlantique Etats-Unis – Union Européenne pourrait-il être affecté ?
Régionalisation croissante
En 2009, les échanges commerciaux intrarégionaux ont représenté 54% des exportations totales. Evidemment, l'Union Européenne est la zone dans laquelle le commerce intra-régional est le plus avancé. En 2010, 71% de ses échanges se sont réalisés entre les pays membres. Cependant, d'autres régions commencent à connaître une intensification de ses échanges en intra. A titre d'exemple, la part des échanges intrarégionaux dans le commerce total de l'Asie est passée de 42% en 1990 à 53% en 2010. La Chine est devenue incontournable pour tous les industriels asiatiques qui sous-traitent ou transforment les produits intermédiaires car l'assemble est réalisé le plus souvent en Chine avant d'être réexportés vers leurs destinations finales. Pour l'Amérique du Nord, cette part est actuellement de 49% ; en revanche, elle est à peine de 26% pour les Amériques centrales et latine, et seulement de 12% pour l'Afrique.
Evolutions sectorielles
En 2010, plus de 80% du commerce mondial a porté sur les biens ; les services n'ont concentré qu'à peine 20%, et ceci malgré la place prépondérante qu'ils occupent dans le PIB des économies nationales, particulièrement dans les Etats développés : A titre d'illustration, sur 100 dollars de richesse produite par les pays du G20 près de 66 dollars proviennent du secteur tertiaire ; pour la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis la part des services qu'occupe dans le PIB est d'environ 75%.
D'après les données du Centre d'études prospectives et d'informations internationale (CEPII), sur la période 1967-2008, les exportations des biens a connu une croissance annuelle moyenne de 11,2% la même ou presque que celle des services 11,1%. Dans le commerce des biens, la part des produits manufacturés a atteint en 2008 les 70% : Il s'agit principalement des produits chimiques, des équipements de bureau et de télécommunication (environ 11% des exportations mondiales chacun), puis des produits de l'industrie automobile (7%). La part de l'énergie est, quant à elle, d'un peu moins de 20%.
Difficultés de mesure
Les échanges de services entre les différentes filiales des firmes transnationales sont un moyen efficace pour organiser, hors de tout contrôle, l'allocation de leurs profits en fonction de considérations financières stratégiques (réduction de la fiscalité, distribution de dividendes,...)
Les stratégies de délocalisation et d'externalisation constituent une autre des difficultés de la mesure du commerce international. En effet, ces deux stratégies augmentent le volume des échanges de produits intermédiaires destinés à être transformés ou assemblés dans certains pays, puis réexportés pour y subir parfois une nouvelle transformation. Ce qui d'ailleurs, pourrait masquer les véritables lieux de création de la valeur et de son appropriation. Par Ezzeddine Ben Hamida: Professeur de sciences économiques et sociales