Les agressions envers les femmes tunisiennes, qu'elles soient sexuelles, physiques ou verbales, se comptent par des milliers par an. Les chiffres sont de plus en plus alarmants d'une année à l'autre. Et pourtant, selon les membres de l'ATFD, les derniers recensements ne sont pas révélateurs parce que les mœurs sociales font que la femme victime se sente coupable et que cette dernière préfère taire son mal que de le déclarer publiquement et porter plainte. Les agressions envers la femme, en tant qu'être humain à part entière, pullulent surtout dans la société orientale où la femme est souvent considérée comme la subalterne de l'homme et «la porteuse de la tentation».
Les agressions sexuelles, les abus et les viols ont toujours séjourné au cœur de notre société. Or, il était et est malheureusement, «prohibé» d'en parler. On préfère voiler et enterrer ces violations des droits de la femme. En famille, on se tait, on se laisse faire. En cas d'inceste, on se complait dans son mutisme de crainte que tout le monde soit pointé du doigt. Quitte à ce que la victime subisse ces abus sexuels quotidiennement. Les fausses couches, les avortements, la violence et la dépression sont au bout du couloir.
Mais, ce qui est encore plus dangereux, c'est qu'au niveau de la justice tunisienne, aujourd'hui, on accuse la victime d'un double viol d'atteinte à la pudeur et on laisse courir en toute liberté les deux vrais coupables.
L'ATFD condamne et s'indigne
Hier, une conférence de presse a eu lieu au siège de l'Université féministe Ilhem Marzouki. Tournant autour du thème «Halte aux agressions sexuelles contre les femmes», la conférence a réuni plus d'une cinquantaine de personnes, entre psychologues, doctoresses, journalistes tunisiens et étrangers, militantes, et professeurs que l'ATFD (l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates) a invités.
Le débat était très animé. Diverses interventions de spécialistes et une multitude d'études exposées et de chiffres ont montré aux participant(e)s la réalité atroce que leurs semblables subissent tous les jours.
Doublement ciblée, la femme victime se retrouve sur la ligne de mire d'un «projet politique» qui vise à la réduire au statut de subalterne en usant par tous les moyens mesquins et perfides : terreur, agression et crainte. Tous les moyens sont bons.
Les droits de l'Homme les plus fondamentaux de la femme tunisienne subissent, dans cette Tunisie postrévolutionnaire une réelle menace. Les acquis du passé sont chamboulés. Le seul gain dont on peut être fier, c'est qu'avec le souffle libérateur de la «révolution», ces viols aux droits de l'Homme sont médiatisés. L'opinion publique apprend de plus en plus ce qui se passe dans les coulisses d'un poste de police, les enfreintes commises par certains policiers, dont le rôle initial est de protéger les citoyens. Il est à rappeler que ce genre de viol dont sont victimes femmes ou hommes ont toujours existé sou l'ère de Ben Ali. A la seule différence, aujourd'hui, on ose en parler et en faire une affaire d'opinion publique.
Ahlem Belhaj (Présidente de l'ATFD)
«Selon la dernière étude de l'ONFP, sur les 15,6% des femmes victimes de violence sexuelle, à peine 5% qui ose porter plainte aujourd'hui.»
«Le vrai danger, aujourd'hui, pour la femme tunisienne est le fait qu'au sein du préambule on refuse d'émettre les droits de l'Homme UNIVERSELS ! Pour nous, c'est extrêmement inquiétant de ne pas être inscrits dans l'universel. Il y a une humanité, un universel qu'on partage tous. Ceci invite au repli religieux et identitaire et c'est très grave. Ceci n'a pas de sens parce que ce patrimoine humain, on a participé à sa mise en place ! Pourquoi veut-on nous déraciner de tout cela ? On avait beaucoup d'espoir pour avancer et non pour régresser ! Quant au cours que prennent les choses, de point de vue judiciaire, en ce qui concerne l'affaire de la jeune fille violée, c'est une réelle honte ! Qu'une victime devienne accusée, pour moi, est très grave. Le message qui peut en découler c'est que si vous êtes agressée, n'en parlez pas et vous n'avez pas le droit de porter plainte. On incite en d'autres termes que les femmes soient violées et agressées sexuellement. C'est un message sociétal très grave qu'on dénonce fortement aujourd'hui. On demande au ministère de la Justice à la fois de retirer son accusation et de présenter ses excuses à la jeune victime. Cette conférence vise à enlever le voile sur cette affaire en nous basant sur un cas concret pour dire qu'il y a une violence sexuelle à l'égard des femmes. Cette violence, on la refuse, on n'en parle pas suffisamment. Ça reste du domaine du non-dit, du tabou. Généralement, on a tendance à accuser les femmes victimes. Ce qui fait qu'on se retourne contre la femme que ce soit au niveau sociétal ou institutionnel. Parce que c'est une forme de domination primitive contre les femmes. On est aussi là pour dire que la loi encourage à cette mentalité rétrograde et qui porte atteinte aux droits fondamentaux et universaux de la femme. Il faut savoir qu'à peine 5% sur 15,6 des femmes victimes de violence sexuelle qui ose porter plainte aujourd'hui.»