La première édition de la foire du livre, après le 14 janvier 2011, n'a pas volé très haut. Loin de là. Cela n'empêche que le ministère de la culture a tenu à l'organiser quelques jours après le 23 octobre 2012 et malgré un environnement sociopolitique très peu joyeux. Egalement, le même ministère s'était réservé des stands pour y exposer diverses productions culturelles émanant d'institutions dépendant de la tutelle sise à la Kasba. Nous avons beaucoup apprécié la participation du centre des musiques arabes et méditerranéennes (CMAM) à cette manifestation. C'était une occasion pour les visiteurs de la foire d'avoir une idée sur les efforts fournis par les responsables de ce très prestigieux centre (le palais Ennejma Ezzahra du baron Rodolphe d'Erlanger) dans la mise en valeur du patrimoine musical tunisien et arabe.Parmi les objets exposés dans ce stand, nous avons admiré notamment les phonographes qui appartenaient à Si Habib Boughrara, le plus connu des collectionneurs de musique, et la belle plaquette relative à cet instrument qui, jadis, faisait le bonheur de ses acquéreurs.Egalement, nous avons eu l'énorme plaisir de repérer une série de CD produits par le CMAM portant des créations de Tahar Gharsa, de jeunes virtuoses et de Kaddour Srarfi. C'est le valeureux coffret de ce dernier qui a attiré le plus notre attention. Kaddour Srarfi fut l'un des meilleurs musiciens qu'a connus la Tunisie. Il est né à Tunis le 19 janvier 1913 au sein d'une famille férue de musique. Petit à petit, il fit son apprentissage en passant par divers instruments à savoir le piano, le luth, le rbab et le violon. Ses premiers pas, il les a faits avec le cheikh syrien (d'Alep) Ali Dérouiche qui lui inculqua les bases du solfège, les “mouachahats", les “bacharef" et autres “samaiet". Mais c'est l'italien Raphael Satrino qui lui fit aimer encore plus le violon selon les normes occidentales. C'est ainsi que Si Kaddour a fini par devenir l'un des violonistes les plus doués de sa génération. Il fut alors repéré par plusieurs musiciens chevronnés qui lui proposèrent de faire partie de leurs troupes. Il travailla avec les orchestres de Chafia Rochdi, Fathia Khairi, Ali Riahi et Hédi Jouini avant de fonder et diriger la fameuse troupe “El Khadra “. Le répertoire de Kaddour Srarfi est extrêmement riche et varié. Nous y comptons plus de deux cents œuvres entre chansons, opérettes et compositions instrumentales. Un bon nombre de chanteurs tunisiens, algériens et libyens interprétèrent ses compositions. Par ailleurs, notre musicien enseigna à la Rachidia, à l'institut national de musique, dans des établissements scolaires ainsi qu'en Algérie. En Libye, il initia à la musique plusieurs groupes de jeunes et ce au début des années soixante. Nous revenons maintenant au coffret qui nous inspira pour écrire cet article et qui comprend deux CD contenant chacun six œuvres du valeureux musicien. Nous rappelons, en passant, que Kaddour Srarfi est le père de la talentueuse Amina Srarfi , fondatrice de la troupe féminine “El Azifet" dont nous avons eu l'occasion d'apprécier la qualité musicale lors de l'ouverture des nuits du Ramadan de Sousse dans le bel espace du Ribat au cours de l'été 2011.L'enregistrement, effectué au CMAM en juin de l'année 2008, fut réalisé avec la participation de la troupe “Ranim" avec Mohamed Abdelkader Ben El Hadj Kacem à la percussion, Sahbi Ben Mustapha au luth, Naoufal El Manaa au nay , Lamjed Rhim au violon et Lotfi Erraies à la contrebasse. L'interprétation fut l'œuvre de la talentueuse Rihab Seghaier ,dont nous avons eu l'occasion d'apprécier la profondeur et la limpidité de la voix au festival international de Sousse avec le Dr Khaled Slama , et l'un des meilleurs chanteurs tunisiens à l'heure actuelle Sofiène Zaidi. Le premier CD porte une “loungua Ajem", la chanson “mahla ennasim" de Choubaila Rached, “sag najaak beranna" de Saliha, “kalbi elli hjartou" de Oulaya , “maazoufa samai isbaain" et l'inoubliable “la nmathelek bichams “ de Mustapha Charfi , l'une des plus belles voix tunisiennes .Quant au second volume, il comprend “ya tir taaddit mnin" de Naama, “ya samra whelwa" de Safia Chamia, la fameuse “farha" sur le maqam “rast eddhil","kouloulha ya nas" de Aicha (la mère de la chanteuse Lilia Dahmani), la peu connue “ya rahla" de Mustapha Zghonda et la célèbre “ah mil aynin" de Mohamed Ahmed (qui a connu un succès énorme au cours des années soixante). Ceci étant, il est indéniable que d'autres musiciens tunisiens méritent d'être remis en exergue à l'instar de Ridha Kalai ,Mohamed Triki et Chadli Anouar pour ne citer que ceux-là. Nous sommes persuadés que le CMAM ne compte pas s'arrêter en si bon chemin .Mourad Sakli avait fourni des efforts louables pour dépoussiérer des archives dont la valeur est inestimable. Les responsables actuels du centre se doivent de continuer sur cette voie de mise en valeur d'un patrimoine dont les limites de l'étendue ne sont pas encore bien définies.