Pareil au tatouage qui remonte à des millénaires, le graffiti a existé depuis la nuit des temps, que ce soit par le dessin ou par l'écriture. Celle-ci était prise pour des dessins graphitiques avant que Champollion, ne déchiffre les hiéroglyphes. Aux premiers siècles de l'Islam, les graffitis coufiques en Arabie et au Proche Orient, constituent une expression de la foi. N'oublions pas que l'Arabie ancienne était de tradition verbale, mais les premières notations écrites apparurent avec les poèmes de l'ère antéislamique, dont les meilleurs étaient affichés sur les tentures de la Kaâba. A l'avènement de l'Islam, on commença à transcrire le Hadith ou dits du Prophète sur les peaux d'animaux, les feuilles de palmier ou les pierres. Certaines recherches épigraphiques en Arabie à ce sujet, ont abouti à des résultats étonnants. Il y avait des transcriptions sur les pierres qui étaient antérieures à l'Islam, et sur lesquelles des personnes gravaient leurs noms. C'est ce qu'on a retrouvé d'abord en Amérique du nord ou en Europe de l'Ouest, où des graffeurs ( ce mot est plus préféré par des linguistes à graffiteur ) avaient apposé leurs noms. Ce qui a évolué au fil du temps, en tag. En fait le graffiti est devenu un art dont a parlé entre autres André Malraux, mais aussi un moyen d'expression, qui interpelle et qui dérange. S'il a été accepté en tant que forme d'art, dans les pays démocratiques, il a été du reste, réglementé par des lois afin d'empêcher qu'il empiète sur les droits à l'intégrité, la salubrité et la sécurité d'autrui. En Tunisie le graffiti a commencé discrètement sous l'ancien régime sous différentes formes. Durant l'ère coloniale, il était strictement interdit. Mais certains utilisaient les murs de la Médina pour inscrire au charbon des slogans anticoloniaux. Mais on n'avait pas enregistré, du moins notre connaissance, des affaires contre les graffeurs de ce genre. A l'aube de l'indépendance, des inscriptions sur les murs ont continué, pour dénoncer certaines injustices, notamment durant les animosités contre les yousséfistes, et plus tard contre les islamistes. Certains, parmi ces derniers, avaient commencé par transcrire, toujours au charbon et sur les murs de la ville, et à travers plusieurs régions au sud comme au nord, des slogans pour inciter à la prière : « Assalat îmed Eddine » (la prière, pilier de la religion) et appeler à observer les commandements de l'Islam. Mais il n'y a jamais eu d'affaires, dans lesquelles des graffeurs étaient impliqués, n'ayant jamais été pris sur le fait. A l'avènement de la Révolution, les graffeurs ont estimé, que dans cet élan de liberté, ils pouvaient enfin s'exprimer de manière plus libre. C'est ainsi que des graffeurs ont pu évoluer dans ce moyen d'expression à travers toute la République. Parmi eux les « Zawewla » un groupe qui a pu s'exprimer à travers ce moyen en fonction de la conjoncture du moment. Jusqu'au jour où deux d'entre eux, ont été interpellés et arrêtés, par la police, alors qu'ils essayaient de réaliser un graffiti sur un mur à Gabès. Revendications sociales ou atteintes à l'ordre public ? Oussama Bouaâjila et Chahine Berriche, graffeurs, et étudiants de leur état, selon certains témoins oculaires, s'apprêtaient à transcrire : « le peuple veut des droits pour les pauvres », une revendication qui ne sort pas du cadre de l'activité de cette association dénommé à juste titre « Zwewla » signifiant les démunis en dialecte tunisien. Mais sur quel élément est basée leur inculpation d'atteinte à l'ordre public, tel que rapporté dans un communiqué, par Amnesty International ? Celle-ci dénonce d'ailleurs dans le même communiqué, leur arrestation et leur inculpation, car constituant une atteinte à la liberté d'expression. Détérioration de bien public ? Les éléments sur lesquels a été fondé l'inculpation, sont aussi bien d'ordre matériel que moral. Les fausses informations peuvent en effet causer un trouble à l'ordre public. En l'occurrence les jeunes en question étaient surpris en train de graffiter, en dépit de l'état d'urgence décrété dans la ville. Par ailleurs le graffiti a été considéré comme étant une détérioration de bâtiment public. C'est sur la base de ces inculpations qu'ont comparu en état d'arrestation, mercredi dernier et pour la deuxième fois, les deux jeunes graffeurs devant le tribunal de première instance de Gabès, et risquent cinq ans de prison, peine prévue pour ce genre de délits. Les avocats ont demandé le renvoi de l'affaire, ce qui leur permettra de réunir les moyens de leur défense. Ces jeunes graffeurs voulaient-ils vraiment nuire à l'ordre public et surtout détériorer un bien ne leur appartenant pas, ou plutôt exprimer l'état d'un ras-le bol de misère et de pauvreté que vit la jeunesse appartenant à la classe démunie depuis des décennies ? Le juge appréciera, selon les éléments du dossier, mais aussi en son âme et conscience et selon son intime conviction.