Hier, en début d'après-midi, les slogans de la manifestation des « supporters de la légitimité » a administré la preuve que la violence politique a encore de l'avenir en Tunisie. Certes, la marche était pacifique dans sa progression sur l'Avenue Habib Bourguiba, mais on sentait les partisans d'Ennahdha gonflés à bloc contre les adversaires de leur mouvement islamiste, et en particulier contre les ennemis de toujours « Nida Tounès » et les « résidus du RCD », qu'ils attaquaient dans les mêmes termes que ceux des manifestants de mercredi et jeudi dernier contre Ennahdha. C'était à qui élevait le plus la voix ; d'ailleurs les micros et les haut-parleurs étaient de la partie. Tous partagés, sur le terrain ! Ce qui inquiète plus que le reste, c'est que sur le terrain, les Nahdhaouis ne tiennent pas le même discours conciliant et pacifiant des dirigeants de leur parti quand ces derniers interviennent sur les plateaux télévisés. Lorsqu'en plus, la violence verbale et les menaces montent d'un cran sur les réseaux sociaux et que les agressions se multiplient contre les biens publics, contre les personnes et les sièges des partis, on ne peut que s'alarmer davantage. Manifestement, ni l'assassinat de Chokri Belaid ni l'initiative de Hamadi Jebali ne semblent contribuer à la temporisation, ni favoriser un retour au calme. Dans les principales arènes politiques (Gouvernement et Assemblée Constituante), la proposition du chef du Gouvernement est déjà entrée en concurrence avec celle de la Présidence de la République. Il n'est pas sûr non plus qu'au Palais de Carthage, le Président Marzouki parle le même langage que ses conseillers. Mohamed Hamdi, le coordinateur de l'Alliance Démocratique a tout récemment déploré une certaine mésentente entre le langage tenu en sa présence par le Président de la République et celui de son porte-parole Adnène Mansar lors de sa conférence de presse de jeudi. Du côté d'Ennahdha, une bonne partie des hommes du mouvement désapprouve Jebali et s'oppose à la formation d'un gouvernement de technocrates dont leur parti serait absent ou dans lequel il serait minoritaire. Dans la rue, les voix s'élèvent nombreuses pour exiger la démission de l'actuel gouvernement ; d'autres émanant de l'Opposition sont partagées entre l'acceptation conditionnelle de la proposition de Jebali et son rejet. Bombe à retardement Depuis mercredi dernier, la Tunisie vit des jours historiques dont dépend son avenir le plus proche. Les crises auxquelles elle est confrontée sont de plusieurs natures : tous les signes que relèvent les observateurs nationaux et internationaux ne sont guère rassurants. Le citoyen le moins initié est convaincu aujourd'hui que parler de situation catastrophique n'est plus aussi excessif qu'il y a six mois. Il en a la preuve tous les jours en constatant la cherté de la vie et sa situation financière et sécuritaire de plus en plus précaire. Si la crise politique actuelle se poursuit, il y a fort à parier que son ras-le-bol se traduise par une réaction beaucoup plus violente que celles qu'il a manifestées jusqu'à présent. A bout de patience et de nerfs, lorsque son pain quotidien est en jeu, le Tunisien risque de devenir imprévisible, sinon dangereux. Et alors, ses débordements n'épargneront ni les politiques au pouvoir, ni ceux de l'Opposition. Comme, par ailleurs, les pêcheurs en eaux troubles (de l'intérieur et de l'étranger) prolifèrent dans pareilles situations désastreuses, il faut s'attendre à ce qu'ils entrent à leur tour en scène pour embraser le pays. Autre motif d'inquiétude : les informations rapportées en direct à la télé par des personnalités diverses sur l'existence d'un appareil policier parallèle et sur une série d'attentats qui se préparent dans certains services ministériels occultes. Pas plus tard que vendredi dernier, sur Nessma TV, Zied El Héni, membre du Syndicat des Journalistes, affirmait avec assurance et même sur un ton de défi qu'au Ministère de l'Intérieur se trament des manœuvres pas très sécurisantes. Le journaliste Soufiène Ben Farhat rapporte de son côté des informations non moins inquiétantes relatives à la sécurité des citoyens. En bref, il y a lieu de s'interroger si le pays n'est pas quelque peu miné, ces derniers jours. Si c'est le cas, les bombes (réelles ou probables) peuvent à tout moment estropier la Tunisie entière et pas seulement quelques unes de ses principales figures politiques. Comment désamorcer ces bombes? En apparence, tous nos dirigeants donnent l'air d'y réfléchir. L'opposition n'est pas en reste. Mais le courant passe-t-il convenablement au sommet du pouvoir, et entre la Troîka et ses adversaires ? Le temps passe très vite et la bombe à retardement n'attendra personne. Faut-il tomber dans la précipitation pour autant ? Dilemme bien plus que cornélen !