Ali Laârayedh, nouveau candidat annoncé à la Kasbah et au Premier ministère, est certainement un homme de grande dignité, mais quand il affirme à la sortie du Palais de Carthage, qu'il va faire un gouvernement pour « tous les Tunisiens », il va trop vite en besogne ! C'est que son prédécesseur M. Hamadi Jebali a bien essayé, il y a un mois, de le faire mais les forces de rétention au sein de la Nahdha l'en ont empêché. En fait, il va falloir, encore une fois, préciser les concepts. Le « tous les Tunisiens » de la Nahdha, n'a rien à voir avec l'unité nationale « sacrée » à laquelle appellent les forces démocratiques de l'opposition. A ce propos quand les partis au pouvoir conditionnent le « consensus national » par l'attachement aux principes et aux objectifs de la Révolution, ils ne font qu'exclure tous ceux qui, eux aussi, n'ont pas la même vision de cette même Révolution. Bien mieux, feu Chokri Belaïd et son Front populaire et bien d'autres formations de l'opposition démocratique estiment que la Nahdha et le CPR ont totalement dévié des objectifs premiers de la Révolution et de son essence même en consacrant le gel de la construction démocratique, et en optant pour un modèle culturel et idéologique aux antipodes de la démocratie civile aux normes universelles. En fait, ce qui marque l'évolution des institutions depuis la transition consacrée par les élections du 23 octobre 2011. C'est l'Etat parallèle à bien des niveaux. A titre d'exemple, l'Assemblée nationale constituante, censée être la source de la « légitimité » est devenue l'ombre d'elle-même. C'est le « Conseil de la Choura » de la Nahdha qui fait et défait les gouvernements et compose le rythme de la construction constitutionnelle à son goût et conformément aux objectifs de l'Islam politique. Le consensus national c'est aussi la volonté de la Nahdha. Vous serez un parti « révolutionnaire » si vous faites « alliance » entendez allégeance au parti dominant, et vous serez le diable si vous vous rapprochez de « Nida Tounès » le parti des « Rcédistes, des francophones, des mécréants... » en un mot, le parti des « ennemis de Dieu ». C'est ainsi que M. Habib Ellouze, haut dignitaire de la Nahdha, qualifie un parti reconnu légalement qui rassemblerait, aujourd'hui, selon tous les sondages réunis au moins 34% des votants aux prochaines élections... si elles ont lieu ! Imaginez cela en France ou en Allemagne, où les partisans de M.Hollande ou de la chancelière Angela Merkel traiteraient les partis crédibles de l'opposition comme les « ennemis de Dieu », avec toutes les conséquences que cela implique ! Mais la « démocratie » de M. Ellouze et cie... passe tout simplement par l'élimination politique de ceux qui ne partagent pas les valeurs et le modèle culturel de la Nahdha radicale. Ce qui est encore plus dramatique c'est l'attitude de l'opposition elle-même face aux manœuvres tacticiennes de la Nahdha radicale, dans son harcèlement continu contre la seule formation aujourd'hui, capable d'équilibrer le paysage politique. Nida Tounès. Il n'échappe à personne que toutes les manœuvres de la centrale islamiste de ces derniers mois visent avant tout à isoler « Nida Tounès » sur la scène politique. Si l'on peut à la limite comprendre l'attitude plus ou moins indifférente de la « Jabha Achaâbiya » de M. Hamma Hammami, qui veut naviguer seul contre tous, on ne peut que s'interroger sur le positionnement d'El Joumhouri de M. Néjib Chebbi. En réclamant la spécificité de son mouvement, il veut certes, préserver ses acquis historiques des années de braise, mais jouer le « compromis » avec la Nahdha chaque fois que « possible », c'est tout simplement jouer l'affaiblissement de l'alliance pour l'union pour la Tunisie dont il fait partie. M.Rached Ghannouchi, manœuvrier redoutable et hors pair, doit bien siroter son petit lait tranquillement, en ce moment, d'avoir réussi une belle première manche à « isoler » Nida Tounès et son leader Béji Caïd Essebsi, du fait d'un relâchement tactique de M. Néjib Chebbi. C'est ce qui s'est passé, ce fameux vendredi 15 février 2013, à la réunion de M. Hamadi Jebali, à la Kasbah pour sonder les intentions des uns et des autres sur l'initiative qui lui a coûté son poste de chef du gouvernement. D'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à avancer cette hypothèse. Je vous renvoie à l'interview d'avant-hier, accordée par M. Mohamed El Hamdi, coordinateur de l'Alliance démocratique à notre confrère « El Maghreb » où il ne mâche pas ses mots pour aller jusqu'à affirmer que l'attitude d'El Joumhouri a encouragé le clan radical de la Nahdha à faire avorter l'initiative Jebali. Dans cette chronique j'ai souvent voulu éviter la politique politicienne en essayant de relativiser et d'aller à l'essentiel. Mais je ne peux m'empêcher, aujourd'hui, de penser que face à la maîtrise tactique et stratégique de la Nahdha et surtout celle de son « Boss », le cheikh Rached Ghannouchi, les petites erreurs « tactiques » se paient comptant. L'opposition démocratique a très mal négocié son dernier « round » avec la Nahdha. Elle en paie le prix et se présente aux yeux de l'opinion un peu comme le dindon de la farce ! M. Béji Caïd Essebsi en homme averti sait qu'il joue gros. Les ambitions des composantes de « l'Union pour la Tunisie » n'ont pas l'air de naviguer vers le même horizon ni le même rivage. A vouloir rassembler coûte que coûte toutes les sensibilités il peut courir le risque de démobiliser ses propres troupes qui sont à l'avant-garde de la lutte pour le véritable équilibre politique en Tunisie avec ce méga pôle qu'est la Nahdha. Quant à ceux qui ont été bluffés par la Nahdha en la croyant sur parole, ils devraient peut-être exiger à l'avenir un consensus engagé par écrit comme celui de neutraliser les ministères de souveraineté. Car, seul l'écrit reste ! La Nahdha est trop subtile et trop manœuvrière pour ne pas la prendre au sérieux ! Sa maîtrise actuelle est à bien des égards, tout simplement admirable ! Il ne faut pas être machiavel pour le reconnaître ! En démocratie, la règle... c'est le fair-play !