Entre la célébration, en 2012, du 56ème anniversaire de l'Indépendance et celle du 57ème en 2013, il n'y a pas photo ! Hier matin, jusqu'à onze heures trente, les rues de la capitale n'arboraient presque aucun indice renvoyant à la commémoration solennelle d'une quelconque date historique. Pas la moindre manifestation, aucun drapeau sur l'Avenue à part ceux, quasiment en berne, à l'entrée ou en haut de quelques administrations publiques ; pas du tout de banderoles. On était pourtant le 20 mars de l'année ; la fête de l'Indépendance ne représentait désormais qu'un jour chômé de plus. Il y a un an, elle était tout autrement perçue par des milliers de Tunisiens rassemblés sous toutes les couleurs sur l'Avenue Habib Bourguiba. En dépit de la timide célébration gouvernementale de l'événement, les rues tunisiennes refusèrent alors de laisser tomber dans l'oubli un pan capital de leur histoire. Il ne s'agissait guère pour eux de glorifier un quelconque « Combattant suprême », ils étaient rares à brandir des posters de Bourguiba. Tout le monde exaltait l'unité des Tunisiens, de tous les Tunisiens. Essoufflement ou...vacances ? Cette année-ci, c'est-à-dire hier, le Palais de Carthage fêta l'Indépendance plus ostentatoirement que l'Avenue historique du centre de Tunis et que la Place de la Kasba. Le Président de la République jeta même un pavé dans la mare en appelant les fameuses Ligues pour la Protection de la Révolution à bannir la violence et à se rendre plus utiles à la reconstruction du pays plutôt qu'à sa ruine. Presque à la même heure, devant le siège du Gouvernement, des centaines de supporters clubistes manifestaient leur « indéfectible soutien » au président de leur club de football tunisois. Un kilomètre plus loin, sur l'Avenue Bourguiba, une centaine de partisans du Watad et du Front Populaire s'étaient rassemblés devant les barbelés en face du Ministère de l'Intérieur, comme chaque mercredi, pour demander justice contre les assassins de Chokri Belaïd. Autour d'eux, une ou deux autres centaines de manifestants portaient le drapeau tunisien et quelques pancartes aux textes peu harmonisés. Il y en avait entre autres qui défendaient les droits de l'enfant ou qui exigeaient la nationalisation des biens étrangers !!! Qu'on était loin, très loin, de la mobilisation et de la communion de samedi dernier ! Même les défenseurs de Belaid semblaient s'essouffler. Vacances obligent peut-être ! Non, au contraire, on s'attendait à bien plus de monde ce mercredi 20 mars, que ce soit pour honorer la mémoire du martyr ou pour commémorer l'Indépendance de la Tunisie. La foule était ailleurs ! Du monde, il y en avait plutôt du côté des commerces des rues de Charles de Gaulle, d'Espagne, de Jamel Abdennasser, de Bab El Jazira. On se bousculait également à Boumendil. Des femmes essentiellement, ainsi que des jeunes filles faisaient leur plein d'emplettes chez les vendeurs à la sauvette, dans les boutiques, les grandes surfaces, les pâtisseries. A propos de commerce, on en faisait aussi au milieu des petits rassemblements de l'Avenue. On vendait des posters, des drapeaux, des écharpes aux couleurs de la Tunisie, mais aussi du chewing-gum, des livres, des journaux, on distribuait des manifestes. Mais l'ambiance n'avait rien d'emballant. On s'ennuyait vite et, pour se divertir, on dévisageait les manifestants à la recherche d'une récente ou d'une vieille connaissance, ou bien pour se faire remarquer, ou encore pour côtoyer des « célébrités » politiques, ou enfin pour se faire interviewer par les journalistes sur les lieux. Dommage, il n'y avait pas beaucoup de caméras, ni de micros; les « gloires » politiques se comptaient sur moins que le bout des doigts, et les « amis » qu'on croisait étaient les mêmes qu'on avaient laissés au café quelques minutes plus tôt! N'exagérons rien ; dans certains groupes spontanément constitués, on criait, on riait, on bavardait, on discutaillait, on se chamaillait et l'on se battait même. Mais, ce n'était toujours pas la fête rêvée, la commémoration souhaitée. Il paraît qu'au 7ème arrondissement de la capitale française, on avait mieux revécu le 20 mars 1956. En dévoilant sur une belle esplanade parisienne un buste imposant de Habib Bourguiba, on rendit hommage, à travers le premier président de la Tunisie indépendante, à tous ses compagnons de lutte, à tous les martyrs tunisiens et aux militants anticolonialistes du monde entier. Bourguiba, donc, est avant tout un symbole, tout comme est hautement symbolique, sous nos cieux, la date du 20 mars 1956. Seuls les bornés et les hypocrites ne l'entendent pas ainsi !!