Madrid : - Le 5e Congrès mondial contre la peine de mort s'est ouvert solennellement dans la capitale espagnole en présence du roi Carlos et de plusieurs ministres d'Europe, des USA, d'Afrique et d'Asie. Pour préparer l'introduction de cette question dans l'aire des débats en pays islamiques, une réunion a été organisée en août dernier à Rabat (Maroc) à laquelle ont été conviés plusieurs juristes, décideurs politiques, penseurs et " associatifs " de la région MENA (Middle East and North Africa), dont des Tunisiens. Notre confrère Youssef Seddik a été invité à cette occasion à intervenir en séance plénière du 5e Congrès mondial à pointer les possibilités et les chances d'une avancée dans ce sens pour le monde arabe-islamique. Voici, en exclusivité pour Le Temps, le texte de son allocution. " Aucun des 56 Etats islamiques qui totalisent une population de plus d'un milliard 200 millions d'âmes, n'a aboli en droit la peine capitale. Si quelques-uns, comme la Tunisie, se targuent d'avoir observé un moratoire en cessant d'appliquer des sentences de mort bel et bien prononcé en vertu d'un jugement qui a prescrit cette peine, tous cependant résistent à l'idée d'abolition au nom de la fameuse Loi du Talion, reprise telle quelle du Testament dit Ancien et clairement énoncé dans le Coran (Sourate V, verset 30 et sq.). C'est à l'occasion de la narration du premier crime perpétré par l'un des " deux fils d'Adam " (Abel et Caïn, que le Coran toutefois ne nomme pas !) que le Texte fondateur de l'islam déclare " … C'est bien pour cela que Nous avons prescrit aux Fils d'Israël que vie pour vie, oeil pour oeil, nez pour nez et plaies pour plaies équivalentes ". Bien que cette prescription est dite explicitement imposée aux Fils d'Israël et qu'une prescription différente et évoluée sera donnée par l'instance divine aux adeptes de la religion islamique (comme nous le montrerons plus tard), les musulmans unanimes continuent à appuyer leur juridiction en la matière sur cette Loi, pourtant caduque selon le même Texte révélé. Avant de passer à cette démonstration que notre lecture du Coran a pu dégager, signalons que pour ce " meurtre originel " où un frère non-nommé élimine son frère (son semblable !) tout aussi tu quant à son identité, le Coran fait une avancée fulgurante et lumineuse vers la valeur du pardon et le renoncement total à la vengeance et même à la légitime autodéfense. Dans le récit de ce meurtre primordial, et avant qu'il ne soit perpétré, la future victime s'adresse ainsi au tueur: "Si tu tends ton bras sur moi pour me tuer,moi je ne tendrai pas le bras sur toi pour te tuer Ainsi tu mériteras et de mon péché et de ton propre péché. Et tu en seras alors du nombre des gens du remords ! " (Coran V, 32) C'est dans la sourate II, La Vache, l'une des dernières révélées que le Texte divin des musulmans formule et annonce une " nouvelle loi " pour les croyants : " O vous qui ont la foi ! Réparation du meurtre vous est prescrite : homme libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Toutefois à qui aura dispense accordée par son semblable (ayant droit de la victime), obligation pour lui de s'y conformer selon ce qui prévaut et accomplissement du dû avec bienveillance Cela est un allégement de votre Seigneur Celui-là qui récidive aura terrible peine (dans l'Au-delà) En matière de réparation, vous avez là, ô les dotés de jugement, de quoi préserver la vie ! " ( II, 178-179). Ces versets équivoques (selon le lexique coranique, mutachabihât) ont été compris par les musulmans jusque-là, comme confirmant la Loi du Talion plutôt comme la dépassant vers une vraie perspective " abolitionniste ". C'est le début de ce passage qui continue à justifier le maintien de la peine capitale, l'avancée n'étant pour les tenants de cette lecture, que la distinction entre les " classes " ou le genre du duo meurtrier-victime. " L'allégement accordé par le Seigneur " qui se trouve au coeur de ce passage et qui recommande la réparation d'ordre pécuniaire grâce à un " deal ", a été toujours ignoré. Pire : la conclusion de ce même passage s'est trouvée détournée de son sens le plus évident et le plus logique. " Vous avez ainsi dans la réparation, qiçâs) de quoi préserver la vie ", demeure jusqu'à présent entendu comme signifiant un banal assouvissement de l'instinct de revanche, qui serait alors ce qui régénère en l'ayant droit de la victime … la vie ! En conclusion, la lutte pacifique au moyen d'une véritable pédagogie animée essentiellement par le tissu associatif et les organisations internationales pour la promotion des droits de l'Homme s'avère longue et rencontrera une forte résistance de la part des gouvernements des Etats islamiques dans leur grande majorité. Ces Etats et leurs gouvernants respectifs s'appuient sur leur " islam officiel, vrai instance " ecclésiale " au coeur-même des mécaniques des pouvoirs" alors que la religion islamique a aboli dès sa fondation et dans la Parole révélée toute médiation institutionnalisée ou coercitive entre les croyants et le Dieu de leur foi. C'est en abordant à partir de cette évidence connue et saluée avec une certaine fierté par le citoyen ordinaire quel que soit son niveau d'instruction ou la légitime force de sa religiosité que cette pédagogie, aidée par toutes les bonnes volontés abolitionnistes, pourrait parvenir à éroder puis à mettre en question le principe sacro-saint du Talion, notamment à l'endroit du meurtre. Nombreuses sont déjà les sociétés arabe-islamiques qui acceptent comme " allant de soi " les sanctions corporelles (amputation de la main pour vol, flagellations publiques pour délits sexuels ou faux témoignage)… Sans parler de l'aberrante lapidation de la (femme seulement !)pour adultère. Quand le président Bourguiba, père de l'indépendance tunisienne, a réussi en 1956 dans le texte juridique et dans la pratique sociale à transformer le code de la famille et le statut de la femme, l'homme et son régime autoritaire ont omis de maintenir dans les banlieues des villes comme dans les campagnes la pédagogie de la vigilance et de la résistance aux préjugés toujours aux aguets, prêts à ressusciter à tout moment. Aujourd'hui et suite à une victoire électorale des fondamentalistes religieux, tout semble remis en cause en matière de promotion et d'émancipation du genre féminin… Alors? … Pour introduire l'idée d'une abolition de la peine capitale en pays islamiques, le chemin sera long, mais il est urgent de commencer à travailler, à s'organiser, à mettre en place les relais internationaux d'échange et de transmission des expériences ça et là dans les pays où l'Etat tue au nom du droit et ce, à tous les niveaux, diplomatiques, éducatifs, associatifs, etc… "