Il est de ces gens que le destin semble s'être acharné contre eux. Ils portent en eux tous les maux inimaginables et qui, une fois réunis, rendent la vie infernale. Quand la maladie incurable, le handicap mental et physique se conjuguent avec le dénuement matériel le plus inhumain, la vie deviendrait un lourd fardeau à porter et supporter tous les jours. Que reste-t-il à ces gens ? Deux exutoires salvateurs nous confia la mère de famille en question : «la foi et la générosité humaine imprévisible.» Je vous parle d'une famille composée de cinq personnes, les parents et trois enfants en bas âge. Vous me diriez : « Oui, quoi de plus normal ! Toutes les familles tunisiennes sont presque pareilles.». Sauf que pour celle-ci, elle a rassemblé tout ce que l'être humain craint et fuit comme la peste : la précarité, l'impécuniosité la plus outrancière et une santé désespérée. La dégringolade infernale Ils habitent un des quartiers les plus démunis, populaires et pauvres qui soit. Sidi Hsine où une grande partie de la population tunisienne côtoie l'iniquité sociale, le chômage, le sous-développement et donc la délinquance. Un immense quartier qui réunit des Tunisiens venus de diverses contrées rêvant d'un meilleur avenir et niveau de vie dans la capitale. Or, chimères et désillusions les attendaient au détour. La famille Hammami est originaire de Teboursouk. Le père, âgé de 37 ans était la source de revenu pour sa petite famille, il y a douze ans. Il travaillait avec son père dans l'agriculture louant un petit tronçon de terre chaque saison pour le cultiver et vivre avec. Sauf qu'un an après son mariage, à peine âgé de 25 ans et attendant son tout premier bébé, il tombe gravement malade. Des évanouissements perpétuels et inexplicables entravaient son travail. Plus les jours avançaient, plus son état de santé se détériore et devient critique. Une fois chez le médecin, le diagnostic était lourd et fatal : une tumeur maligne a frappé le cerveau du jeune futur papa. Travail relevait, désormais, du domaine de l'impossible et de l'impensable. Abattu et terrassé par la maladie, M. Hamami et son père quittèrent leur ville d'origine et s'installèrent à Sidi Hsine, à quelques kilomètres de la capitale. La couple Hammami n'était pas au bout de ses surprises. La jeune épouse, déjà frappée par la maladie incurable de son mari, devait accueillir au monde leur tout premier bébé. Ce qui aurait dû être une merveilleuse nouvelle, se transforme en véritable cauchemar. Le bébé est de sexe féminin et est née avec un handicap qui l'accompagnera toute sa vie. Un handicap mental des plus sévères. Avant que leur fille cadette ne vienne au monde, les jeunes parents décidèrent de la nommer Amal (Espoir), dans l'espoir justement que la vie leur sourie de nouveau et une façon d'affronter le destin qui s'est acharné contre eux. Pourtant ! La providence n'a pas encore dit son dernier mot. Leur fille Amal portait en elle tout ce qu'un parent peut appréhender pour ses enfants. Deux bouts de choux naissent après, Hazem âgé aujourd'hui de onze ans et Hamdy d'à peine 4 ans. La majorité d'entre nous reprocheront à ces jeunes époux de vouloir encore donner la vie à des petits êtres dans des conditions aussi précaires et handicapantes pour élever des enfants où le moindre des besoins n'existe pas. Je cèderais la parole à l'ignorance, l'analphabétisme et au désespoir pour l'expliquer. Absence de l'Etat et générosité citoyenne «L'état de mon mari s'est détérioré depuis Ramadan dernier. Actuellement, il est handicapé. Il a perdu l'usage de sa main droite et ne marche qu'à peine, se confia à nous, Mme Hadia. Pendant un long moment, il a perdu conscience. Durant des semaines, il était dans le coma. Aujourd'hui, il a retrouvé ses esprits. Néanmoins, il a perdu partiellement la mémoire.» Il est à rappeler que cette jeune trentenaire a travaillé comme femme de ménage chez des particuliers et quelques restaurants populaires. Or, quand l'état de son mari s'est dégradé, elle ne pouvait plus le quitter. Elle reste tous les jours à son chevet pour l'assister. Quant à Amal, handicapée mentale sévère, elle est d'une nervosité hallucinante. Violente et indomptable, elle casserait même ses dents. Pour maîtriser cette future adolescente, la maman n'as pas trop le choix, elle la lie avec une corde à un des meubles désuets de sa modeste demeure afin de la calmer. «Je n'ai pas trop le choix. Je la couvre de mon amour et ma tendresse. Je suis impuissante face à son état. Je manque terriblement de l'assistance médicale adéquate. Au Razi, on a refusé de l'interner. Motif : trop violente et insupportable. Ai-je le choix à part la lier à un lit ou une armoire pour que je puisse m'occuper de son père ! Quant à lui, les médecins m'ont dit qu'il n'a que 5% de chance de réussite de survie s'ils l'opèrent. Or, même si ses chances étaient meilleures, les frais sont mille fois au-dessus de nos moyens» En l'absence d'un encadrement médical, psychiatrique et financier de la part de l'Etat, la famille Hammami vit dans une précarité qui ne peut même pas effleurer les esprits les plus érudits. Elle a une seule source de revenue : la générosité citoyenne. Elle vit des dons imprévisibles d'âmes charitables et bienfaitrices. «C'est grâce à une jeune fille se prénommant Azza que mon fils de 10 ans a pu aller à l'école et poursuivre ses études cette année. Elle a lancé un appel auprès de ses collègues pour collecter des dons et des fournitures scolaires.. Pour mon époux, je compte sur Dieu, je lis du coran et je le protège par le biais de psalmodies coraniques. Si j'avais ne serait-ce les moyens d'ouvrir un tout petit projet et lancer même un tabac-journaux ou une épicerie dans ma maison, je sauverais la mise. Mais là, je n'ai même pas de quoi donner à manger et à soigner les membres de ma famille ! J'ai à charge mon beau-père qui est une personne très âgée et à moitié aveugle ». C'est grâce à lui si on a trouvé cette modeste maison qui nous accueille et qui comme vous le voyez est dans un piteux état. Mais Hamdoulah ! (Dieu merci). De la part de l'Etat, je n'ai reçu et ne reçois aucune aide pour scolariser mon fils, ni pour soigner mon mari, ni ma fille ainée…» Des cas comme la famille Hammami, on peut les compter par milliers dans ce petit pays où en l'absence de l'encadrement de l'Etat, la générosité citoyenne prend le relais.