Durant les deux décennies du règne de la dictature, le ministère de l'Intérieur a joué le rôle que lui imposait le régime déchu, celui de la terreur et de la répression. La relation entre celui dont la tâche première est d'assurer la sécurité du citoyen, s'est envenimée au fil des années au point d'en devenir conflictuelle. Le policier était le meilleur moyen utilisé par le système répressif pour assujettir, terroriser et asservir les citoyens. La violence et la persécution étaient les mots d'ordre. Le lendemain de la chute du régime absolu de Ben Ali, les choses ne se sont pas vraiment améliorées. Entrant en jeu, la société civile a tenté, depuis, de réformer la relation entre le policier et le citoyen et de leur apprendre, par le biais de campagnes de sensibilisation et de débats à signer un pacte de paix. Cette réconciliation a connu des hauts et des bas mais commence à avoir lieu. C'est dans ce contexte qu' a eu lieu le lancement officiel du projet «Les citoyens et leur police. Comment bâtir une nouvelle relation ?», une initiative de l'Observatoire Tunisien de la Sécurité Globale. Soutenu par le PNUD, l'initiateur a invité durant deux jours, à Tabarka (gouvernorat de Jandouba) des représentants de la société civile, de la garde nationale, de l'Union Nationale des Syndicats des FSI, des citoyens, des juristes et des universitaires. L'observatoire a vu le jour récemment grâce à la détermination de ses membres et il a été parmi les associations les plus appréciées et sélectionnées dans le projet lancé par le PNUD. Il n'est pourtant pas à sa première manifestation. L'OSTG mise sur le débat et l'échange transparent en vue de façonner une nouvelle forme de relation entre l'appareil sécuritaire et le citoyen. La modernisation et la démocratisation des rapports entre ces deux antipodes du régime déchu font partie des desseins prioritaires de l'Observatoire. En marge de ces deux journées de travaux et d'ateliers de réflexion, Le Temps s'est entretenu avec la vice-présidente de l'OSTG, Chahrazed Ben Hmida Le Temps : si l'on peut aujourd'hui parler de l'observatoire Tunisien de la Sécurité Globale dans un contexte de crise de l'appareil sécuritaire, que peut-on retenir ? Chahrazed Ben Hmida : l'observatoire est une jeune structure. Il a été créé en septembre 2012. Il permet d'échanger et de travailler ensemble en s'appuyant sur des structures existantes et en cherchant à les valoriser dans le cadre de ses missions. Tenant compte de la mutation qu'a connue la Tunisie, l'Observatoire participera à la mise en exergue de cette nouvelle donne en agissant à travers la recherche, l'expertise, les études, l'organisation de débats et d'échanges d'expérience (sous forme de colloques, de séminaires, d'ateliers de formation) et la communication. Il est, notamment, une structure citoyenne qui permet de valoriser les études et les recherches dans le secteur de la sécurité globale en Tunisie. Cette problématique intervient comme un objet majeur dans son intervention, mais elle prend place dans un contexte de transformations nationales et internationales dont elle n'est que l'une des manifestations. L'Observatoire accueillera aussi bien des chercheurs, des universitaires, des experts que des praticiens permettant d'assurer la diversité et la richesse des ses études et de ses expertises. Quels sont les objectifs que s'est fixé l'OTSG en matière de réforme de la sécurité globale ? L'Observatoire travaille sur la réalisation de plusieurs buts. D'abord, constituer un corpus scientifique portant sur les questions de sécurité en Tunisie et servant de base de ligne de conduite de réforme et de modernisation des forces de sécurité. Il tient, par ailleurs, à contribuer à l'émergence d'une conception tunisienne de sécurité globale et à l'élaboration de politiques publiques (de sécurité) ayant des stratégies claires autour d'axes structurants la mise en oeuvre de la nouvelle conception de sécurité globale. En outre, il se fixe comme objectif la participation à la réorganisation et à la modernisation des méthodes et instruments de travail et d'intervention des forces de sécurité (professionnalisation, pratique du partenariat, conduite de projet, ….). D'ailleurs, au sein de l'OTSG, nous tenons, aussi, à constituer, par le biais des études transdisciplinaires, un référentiel scientifique de qualité en matière de sécurité. Qu'en est-il de la réforme de la relation Citoyen/Police ? Bâtir une nouvelle relation entre le citoyen et sa police est le but initial de l'observatoire comme le montre déjà le thème du séminaire. Nous tenons à participer aux dialogues entre les forces de sécurité et le citoyen pour donner naissance à une gouvernance moderne, reconnue comme partie prenante à la modernisation et à la démocratisation des structures de sécurité en Tunisie. Cela se fera grâce à des formations, des rencontres et des ateliers multi-acteurs, pour un milieu structuré (pratiques discutées et partagées) de la recherche de l'action dans le domaine de la sécurité. Cette rencontre constitue-t-elle la première phase de votre projet de réforme de la relation Citoyen/Policier ? Nous ne sommes pas à notre première manifestation. Outre les rapports que nous avons confectionnés, nous avons organisé plusieurs rencontres à caractère académique et opérationnel. Je citerai à titre d'exemple le colloque international sur la sécurité globale au Maghreb ou encore le séminaire de formation et de réflexion sur le syndicalisme au sein de la police. Nous l'avons structuré sous forme de question: Comment peut-on être policier et syndicaliste en faisant intervenir des policiers syndicalistes venant de pays où cette posture ne fait plus débat sur sa vocation essentielle et démocratique. Pourquoi avez-vous opté pour Tabarka ? Le projet porte-t-il sur le gouvernorat de Jendouba uniquement ? Le choix de Tabarka n'est point un hasard. Nous sommes là pour débattre de la relation Policier/Citoyen et pour réfléchir ensemble sur cette problématique centrale pour le renouveau de la Tunisie postrévolutionnaire. Nous avons choisi Jendouba comme lieu d'observation et d'étude sur le terrain. Cette étude est l'un des aspects d'un contrat de travail que le l'OTSG a avec le PNUD. Quant au choix de ce gouvernement, il est la résultante de notre volonté de décentrer la réflexion et le débat et en faire un bien commun partagé par l'ensemble du territoire de la République c'est ainsi que débute le bon aménagement du territoire. En tant que société civile, comment comptez-vous assurer le passage d'une relation conflictuelle à une relation plus “humaine” entre les deux antipodes du système? D'abord, on ne pense nullement que le citoyen et les policiers sont “des antipodes du système”. La sécurité est une responsabilité partagée. Elle n'est point le monopole de la police. Aussi, pour nous, elle est un bien commun. Il n'y a pas de liberté sans sécurité. Donc citoyen et policier sont les deux acteurs porteurs de cette noble mission. Quant à notre rôle, il est, certes, modeste, mais grandement utile. Notre utilité se mesure par notre capacité à mettre ces problèmes sur la grille de l'analyse et de la réflexion. C'est pourquoi, dans ce cadre, nous nous positionnons en centre-ressource capable de faire des propositions et des recommandations. En revanche, il appartient aux pouvoirs publics de choisir ce qu'ils veulent mettre en œuvre. L'acte de paix entre policier et citoyen vous semble-t-il possible dans la conjoncture actuelle où l'appareil sécuritaire semble sujet à des infiltrations équivoques? Le terme paix n'est-il pas en soi péjoratif? Quand on parle de paix, on part de l'hypothèse qu'il y a guerre ou il y a eu une guerre. Nous pensons que la police tunisienne n'était pas en guerre avec les citoyens dont elle avait la charge d'assurer la sécurité, en revanche, elle fonctionnait comme une police de régime au service de ceux qui gouvernent le pays, elle était un outil de la dictature. Ce temps est révolu, mais la police n'a pas encore réellement changé de nature. Elle est encore l'objet d'enjeux politiques parfois peu républicains. Or, pour que notre police passe d'une police de régime vers une police démocratique au service des citoyens et de la liberté, il faut que le citoyen l'aide dans cette mutation en lui exprimant sa confiance et en lui permettant d'atteindre ainsi la légitimité qui lui fait encore défaut. D'autre part, l'amélioration de la relation police/ citoyen exige aussi l'émergence d'un nouveau citoyen (postrévolutionnaire) respectueux de l'ordre, de la norme, de l'intérêt général. Il faudrait que le citoyen qui pense que la chose publique (la Respublica) est la sienne. La sécurité est l'affaire de tous.