En mars, cinq fillettes sont passées devant les lilas et les fusils. Elles sont tombées à la porte d'une école primaire. Sur les doigts, la craie prend les couleurs des oiseaux. En mars la terre nous a divulgué ses secrets. Je suis le témoin du massacre, Le martyr de la cartographie, L'enfant des mots simples. J'ai vu les gravats, ailes, Et vu la rosée, armes. Lorsqu'ils ont refermé sur moi la porte de mon cœur, En moi dressé les barrages, Instauré le couvre-feu, Mon cœur est devenu une ruelle, Mes côtes, des pierres. Et l'œillet est apparu, Apparu l'œillet » Mahmoud Darwich "Tous les enfants de mon ami Khaled Al Sabbah sont morts à la suite du dernier bombardement israélien sur le camp de Al-Shati à l'ouest de la ville de Gaza. Il vient juste de m'appeler." Abed. "Je suis encore vivant, mais j'ai perdu deux amis proches, dont l'un était journaliste. Ce fut la pire nuit pour ma famille et moi, de toutes. Oh mon Dieu." Abed. Ces messages m'ont écartelée, m'ont déchirée, m'ont suppliciée. Dieu, pourquoi assassiner des enfants ? Maudits soient les meurtriers, maudites les mains qui ont ravi les sourires enfantins, éteint la lumière de leurs regards, tué l'innocence et instauré le règne du chaos et de la barbarie. Pourquoi a-t-on ciblé des écoles, réduit en gravats les murs des salles de classe, brûlé les manuels scolaire et martyrisé la chair des petits ? Pourquoi s'attaquer à une population démunie et prisonnière d'une bande de terre entre ciel et mer ? Pourquoi massacrer des villages, bombarder une plage alors que des enfants sont allés s'y réfugier ? Pourquoi tant de haine, de dédain, tant de mépris ? Quatre enfants de la famille Baker tués sous le regard des journalistes. Quatre enfants tués sur une balançoire, un jour de fête, et six autres qui attendaient leur tour. Je vois la balançoire voler vers le ciel et s'abattre lourdement, l'élan subitement arrêté. Je vois les sourires se figer et les rires se fracasser. Je vois les corps en lambeaux. Ont-ils le courage de regarder les cadavres mutilés ? Ont-ils le courage de voir les blessés trainer leur douleur, le regard hagard et les corps endoloris ? Ont-ils le courage de regarder la famille Bagdesh dont cinquante membres ont été meurtris ? Ont-ils le courage de regarder les amputés dont le nombre augmente à chaque raid ?Ont-ils le courage d'affronter le regard des handicapés ? Des familles disséminées, des familles déchirées, des deuils répétés à tel point que les cimetières deviennent des villes. Des enfants sans repères s'interrogent sur la capacité de leurs parents à les protéger. Des parents désemparés, désespérés, ne se sentant plus capables de protéger ceux à qui ils ont donné le jour. Ont-ils pensé à ces crimes qu'ils ont perpétrés ? Ont-ils des enfants, des familles, des êtres chers, aimés, chéris, adorés ? Ont-ils une once d'humanité ? La peur, l'angoisse, la terreur, l'horreur, de jour et de nuit, en temps de guerre comme en temps d'accalmie, car le corps se souvient aussi de ses battements affolés à l'approche de l'aviation ennemie, des éclats d'obus, du bruit assourdissant des projectiles, des sirènes annonçant l'enfer, des murs qui tremblent et s'écroulent, des hurlements terrorisés. Le corps se souvient de tout et restaure peur, angoisse et désespérance en temps de calme.« La nuit, je crains les bombardements. Je ne peux pas dormir, j'ai mal au ventre et j'ai mal aux oreilles », dit Fatima doucement alors qu'elle est à peine capable de parler « Les roquettes et les bombes me font peur et je ressens de la douleur - le bourdonnement des chars me fait peur » gémit Rabeaa. Cette crise mémorielle est le mal de ceux qui subissent la guerre, la violence, les fracas de l'injustice et de l'ignominie. Des villages brûlés, des terres incendiées, des écoles détruites, des bibliothèques brulées, des maisons rasées, des quartiers disparus, des lieux dont on perd le souvenir. On ne reconnait plus les endroits qui étaient familiers. La maison-refuge a disparu et avec elle les souvenirs, les noms des lieux, les adresses, les moments vécus, les objets achetés, hérités, acquis, qui ont une histoire, du sens disparaissent, ensevelis et avec eux, des pans de vie volés et violés« Ce n'était pas possible de dire quelle partie était la rue, et qu'est-ce qui avait été notre maison - jusqu'à ce que j'ai vu nos vêtements brûlés dans les décombres - aucun n'était plus utilisable, » raconte Souhail, avec des larmes dans les yeux. « Et l'on se sent perdu, spolié, sans histoire, sans souvenirs, sans identité. Et l'on se sent abandonné par la terre entière, oublié, banni. Et l'on sent le poids de la colère étreindre la gorge, former une boule incandescente qui asphyxie et étouffe le souffle de vie. Et l'on se sent vieilli alors qu'on n'a que cinq ans et que la mort rôde, implacable. Et l'on se sent dépossédé. Sans espoir, à part, cette lumière intérieure, une lueur dans la nuit complète, un fil d'Ariane auquel s'accrocher pour ne pas sombrer : une terre, un pays rêvé.