Que n'avons-nous pas encore fait pour dire tout le mal qui ronge une île en proie à toutes les dérives ? Combien d'encre a coulé pour interpeller les consciences des responsables, laxistes à souhait, démissionnaires et frappés d'apathie ? Combien de voix sont montées, depuis bien longtemps, pour traduire la désillusion d'une population quasi martyrisée, pour crier sa révolte sagement contenue ! Que de discours, tantôt virulents et révoltés, tantôt déchirants et pathétiques, ont été formulés à répétition pour exprimer toute la rage d'une population excédée par autant de nuisance, accueillie paradoxalement avec indifférence et résignation au sommet ? Depuis l'avènement de la Révolution, Djerba, à l'instar des autres régions du pays, a fait l'objet de saccages en série de ses richesses patrimoniales et paysagères, d'atteintes à répétition à son patrimoine bâti, à son écosystème et à sa biodiversité, mais jamais de mémoire d'homme elle n'a été confrontée à une si grave crise environnementale ayant trait à la gestion des déchets solides produits sur son territoire. Cette île, jadis enchanteresse, qui resplendissait de beauté singulière et de propreté à ravir plus d'une âme, n'est plus aujourd'hui que l'ombre d'elle-même, décevante pour les centaines de milliers de touristes dont les pieds ont foulé son sol et qui s'attendaient à découvrir autre qu'une île dépotoir, insalubre et puante, méconnaissable aux yeux de celles et ceux qui avaient coutume d'y venir et de s'y plaire, diminuée et dévalorisée par les tonnes de détritus jonchant pêle-mêle aux alentours des hôtels, aux abords des routes, dans les rues et les places publiques. Nous avons fait part dans des éditions précédentes, sur ces mêmes colonnes, de tous les détails inhérents à la sempiternelle crise des déchets à Djerba ; aujourd'hui encore, force est d'admettre qu'il n'est jamais assez trop d'en parler : la crise est toujours d'actualité ; la question des déchets est sur toutes les lèvres, de jour comme de nuit, et constitue le souci majeur de tous les habitants de l'île, quels qu'en soient l'âge, le statut ou le genre. Depuis presque trois ans, Djerba vit noyée dans les ordures, ses malheureux habitants voyaient les hauts représentants de l'Etat des trois gouvernements consécutifs venir les mains vides, pleins de promesses jamais tenues ; beaucoup de maladresse et, parfois de mauvaise foi, de la part de certains intervenants locaux qui avaient d'autres desseins en tête que de contribuer à la résolution de la crise ; bilan : Djerba, sans gouvernail, tel un bateau ivre, erre au gré des circonstances, en proie à l'improvisation hasardeuse, aux outrages et aux nuisances préjudiciables de tous bords ; le projet pilote de tous les espoirs du mini-centre de valorisation des déchets par compostage est avorté ; la délégation spéciale de Houmt-Souk à l'origine de cette louable initiative qui n'était pas pour plaire à certains détracteurs, l'accusant de tous les torts, a fini par démissionner. Depuis le 26 juillet, date de la tenue de l'ultime réunion de la déception au siège du gouvernorat, en présence de deux secrétaire d'Etat, Djerba est lâchée, abandonnée au sort ingrat auquel elle est réduite : en dépit de la persévérance, voire de l'aggravation de l'état des lieux, aucun haut responsable de l'Etat n'a daigné s'enquérir de l'évolution de la situation, le gouverneur de Médenine, incessamment sollicité pour intervention, n'y a plus jamais mis les pieds ; les deux délégués d'Adjim et de Houmt-Souk, fraîchement débarqués, sont à l'apprentissage et ne peuvent pas faire mieux. Peut-être la scène de tous les engins de la municipalité de Houmt-Souk , bennes -tasseuses, camions et tracteurs, chargés d'ordures garés effrontément devant le siège de la délégation, symbole même de l'Etat, vécue aujourd'hui, en dit long sur le mal de Djerba et sur le ras-le-bol du personnel municipal. Obéissant aux directives du nouveau délégué, en sa qualité de président de la commission de gestion des affaires de la commune après la démission de la délégation spéciale, chauffeurs et ouvriers ont repris du service, tôt le matin de ce jour-là (vendredi dernier), rassurés qu'ils ne devraient aucunement faire l'objet d'insultes ou de maltraitance de la part des riverains du site anarchique choisi pour l'enfouissement des ordures acheminées, mais, encore une fois, ils ont été reçus de plus belle, et avec tous les honneurs. Infâme et révoltant !